(Termonde - Malines - Gand - Ath - Namur - Alost - Louvain...)
Marie de Ploennies
1848
Marie de Ploennies
1848
Il y a tous les ans à Cologne et à Venise, lors du carnaval, des mascarades réjouissantes où se déploie une gaîté franche, énergique et parfois un peu crue; la même chose a lieu en Belgique, toutefois à d'autres époques et avec des objets plus déterminés que l'on promène processionnellement.
Chaque ville avait sa famille de géants que l'on promenait par les rues aux occasions de réjouissances. Le père des géants pouvait facilement regarder par la fenêtre du troisième étage, et même au-dessus de certaines maisons; la mère n'avait pas la taille du vieux, cependant elle compensait par son ampleur ce qui lui manquait eu hauteur. L'aîné des fils atteignait au second étage des maisons, les filles n'étaient pas moins grandes et le poupon quoiqu'emmaillotté était forcé de baisser la tête lorsque le cortège passait sous une haute porte de ville. On voyait en outre dans le cortège des spectres, des dragons, des lions, des baleines toutes montées et conduits par des cupidons; la roue de fortune sur laquelle des hommes de toute espèce tournaient avec une vitesse incroyable; une maison de paysans avec une kermesse digne du pinceau de Teniers etc. A Termonde, le rôle principal était assigné au cheval Bayard monté par les quatre héros, enfants d'Aya, les fils Aymon. La description que nous faisons de ce gigantesque animal, et notre ami lecteur nous croira sans doute, quand nous lui dirons que ce cheval était porté par trente quatre hommes cachés sous la longue couverture qui descendait de son dos et de son cou. Quatre chevaliers étaient assis sur une énorme selle; ce devaient être quatre frères. La queue était composée de plus de trente queues de chevaux ordinaires; cependant on passera légèrement sur ces détails, car la tête seule de l'animal attirera tous les regards. Cette tête est un chef-d'oeuvre, et le plus grand chef-d'oeuvre de la ville de Termonde.
Jadis vivait dans cette ville un habile sculpteur en bois dont la renommée s'étendait au loin; cependant, comme sont souvent les grands artistes, cet homme était adonné au jeu et à la boisson. Il passait la moitié de la nuit au cabaret, tandis que sa femme et ses enfants souffraient les angoisses de la faim. Un jour, ayant perdu son salaire au jeu il ne savait comment se procurer du pain pour le lendemain et de l'argent pour régler ses comptes le soir suivant avec ses compagnons de bouteilles; s'étant déguisé, il alla se poster sur la grand' route pour attendre un voyageur allant à la ville. Après avoir longtemps attendu en vain, il entendit dans le lointain le pas d'un individu qui s'approchait et bientôt il vit un joyeux garçon sifflant une chansonnette. Il sauta promptement sur lui et leva son bâton pour l'en frapper, mais l'autre se baissa, et le sculpteur se sentit saisir à la gorge et renverser à terre. Quelques paysans accourus au cri du voyageur, garottèrent l'agresseur et le conduisirent devant les juges. Les échevins connaissant depuis longtemps la mauvaise conduite de l'accusé n'eurent pas de peine à ajouter foi aux plaintes dont il était l'objet, aussi le jugement qu'ils portèrent fut que: „Maitre Liévin Vandevelde serait pendu par le cou jusqu'à ce que mort s'en suive."
Environ quinze jours après ce jugement, on annonça de tout côté, à son de trompe, qu' une procession où figurerait le cheval Bayard devait avoir lieu. Cependant la tête du cheval est tellement rongée par les vers que l'on pouvait regarder à travers comme par une dentelle. Il fera honte à la ville devant les nombreux étrangers dont la présence embellira cette fête. Lorsque le secrétaire fit part de cela au magistrat, celui - ci convoqua le conseil. Il n'y avait qu'un sculpteur sur bois à Termonde, c'était Liévin Vandevelde, condamné à mort par le conseil. On décida donc que l'on proposerait à Vandevelde que, s'il achevait promptement l'ouvrage, on l'enterrerait en terre sainte, et on ne laisserait pas séjourner son cadavre à la potence. Le sculpteur se mit à rire à ces paroles: Allez dire à ces messieurs, dit-il, que je m'inquiète fort peu de ce qu'on fera de mon cadavre; qu'on me donne la vie et la liberté, et avant quinze jours le cheval Bayard aura une tête, comme aucun sculpteur ne pourrait en tailler une. Le magistrat fut longtemps indécis, cependant l'honneur de la ville parla plus haut que la justice, et le conseil accorda la chose.
La veille de la fête, le maître se présenta suivi de deux hommes portant la tête de Bayard. Lorsqu'il leva le voile qui la couvrait, tous jetèrent un cri d'admiration et ne purent en détacher leurs regards; le lendemain elle fut exposée aux yeux du peuple qui ne se lassa point d'admirer ce magnifique chef-d'oeuvre. Cette nouvelle s'étendit, au loin dans le pays et une foule de curieux afflua bientôt à Termonde. Maître Liévin Vandevelde avait, dès sa sortie de prison, changé de conduite, il vécut encore longtemps à la joie de ses amis et concitoyens.
Lorsqu'à l'occasion de la fête on promène le cheval Bayard, on se dirige d'abord du côté du grand marché, dans les quatre angles duquel sont placés de petits mortiers que l'on décharge aussitôt que Bayard est au milieu de la place. Le noble coursier se cabre, fait semblant de combattre, se tourne d'un côté et d'autre, jusqu'au dernier coup. Alors il salue le peuple qui le couvre d'applaudissements comme vainqueur. Après avoir parcouru son itinéraire dans la ville de Termonde, il rentre à l'hôtel de ville où il attend dans un grenier le retour de nouvelles fêtes.
NDLRB :
Liste des localisations du cheval Bayard (xve et xvie siècles)
Malines : 1416
Lierre : 1417
Louvain : 1428
Audenarde : 1433
Eindhoven : 1437
Termonde : avant 1461
Ath : 1462
Tirlemont : 1471
Bergen-op-Zoom : 1484
Alost : 1497
Breda : 1502
Dordrecht : 1506
Bruges : 1513
Nivelles : entre 1457 et 1515
Namur : 1518
Bruxelles : 1529
Léau : 1538
Diest : 1561