° Les effets en Belgique d'un réchauffement climatique au Moyen Âge

 



L'OPTIMUM CLIMATIQUE MÉDIÉVAL

Les effets en Belgique d'un réchauffement climatique au Moyen Âge
 

L'Optimum Climatique Médiéval (OCM), également connu sous le nom de "période chaude médiévale" ou "anomalie climatique médiévale", fut une période de climat relativement chaud, principalement ressenti dans la région de l'Atlantique Nord et en Europe occidentale, s'étendant approximativement du IXe au XIVe siècle (environ 800 à 1300 de notre ère), avec un pic de chaleur souvent situé autour de l'an 1000. Cette période se caractérisait par des étés plus chauds et des hivers généralement plus doux dans le nord de l'Europe, ainsi qu'une diminution des événements météorologiques extrêmes et une pluviométrie plus régulière, favorable à l'agriculture.

Il est important de noter que l'OCM n'était pas un phénomène global uniforme, et les températures les plus chaudes n'ont pas été ressenties simultanément partout dans le monde. Dans certaines régions, comme le Pacifique, il a pu faire plus frais qu'aujourd'hui durant cette période. Les températures moyennes de l'hémisphère Nord durant l'OCM étaient considérablement plus élevées que celles du Petit Âge Glaciaire qui a suivi, mais n'auraient pas atteint le niveau des températures du début du XXIe siècle à l'échelle mondiale.

Conséquences générales en Belgique :

L'amélioration des conditions climatiques pendant l'Optimum Climatique Médiéval a eu des répercussions significatives en Belgique, notamment en Flandre, qui était alors l'une des régions les plus densément peuplées d'Europe.

Expansion agricole et croissance démographique : 

Le climat plus clément a favorisé une expansion agricole notable. Les rendements agricoles étaient plus stables, ce qui a soutenu une croissance démographique importante en Europe, la population ayant triplé entre 1000 et 1347 de notre ère (en 1347, début de la Grande Peste Noire, qui provoque le décès de 25 millions de personnes en Europe).

En Belgique, on a vu se développer la culture de la vigne dans des régions où elle était auparavant absente. Ces conditions favorables ont également permis une meilleure alimentation, contribuant à un allongement de l'espérance de vie.

Expansion de la viticulture :

L'un des effets les plus marquants de ce climat plus doux et plus stable fut l'expansion significative de la viticulture. La culture de la vigne, (déjà introduite par les Romains pendant "l'Optimum Climatique Romain", 250 av. J.-C. à 400 apr. J.-C.), a connu au Moyen Âge un véritable essor le long des coteaux de la Meuse, notamment dans les régions de Liège, Huy et Namur. Des documents historiques attestent de la présence de nombreux vignobles gérés principalement par des institutions religieuses telles que les abbayes et les chapitres canoniaux. Ces établissements monastiques, grands propriétaires terriens, ont joué un rôle crucial dans le développement et le perfectionnement des techniques viticoles. Le vin produit n'était pas seulement destiné à la consommation locale et liturgique, mais faisait également l'objet d'un commerce florissant, contribuant à la richesse économique des cités mosanes.

Les premières mentions écrites de vignobles dans la vallée de la Meuse apparaissent dès le IXe siècle. Des textes officiels de 815 attestent déjà d'une viticulture simultanée en Flandre et en Wallonie, notamment à Huy et à Vivegnis, près de Liège (Cf. Joseph Halkin, Étude historique sur la culture de la vigne en Belgique, Liège, 1895).

Au fil des siècles, la viticulture mosane connaît un véritable âge d'or, s'étendant le long des coteaux bien exposés de la Meuse et de ses affluents comme l'Ourthe, l'Amblève et le Geer. Des villes comme Liège, Huy, Namur et Dinant deviennent des centres viticoles importants. Huy, en particulier, est souvent décrite comme une véritable "cité vigneronne", avec des vignobles couvrant ses flancs dès le IXe siècle.

De nombreux noms de lieux-dits, de rues ou de parcelles gardent la mémoire de cette ancienne activité viticole. Des noms comme "les Vignes", "Vivegnis" (qui viendrait du latin vignis), ou encore des noms de rues comme "rue des Coteaux", sont des héritages directs de ce passé.

Des découvertes de pressoirs à vin ou de leurs éléments, ainsi que des "vide-bouteilles" (petites constructions dans les vignes) sont des témoignages matériels de la vinification. Un exemplaire de pressoir à vin est par exemple conservé au Musée Communal de Huy. De même, des structures architecturales liées au stockage et à la consommation du vin dans les abbayes et les châteaux peuvent être considérées comme des preuves indirectes de l'important développement de la viticulture dans la région mosane.


Pressoir à vin moyenâgeux au Musée Communal de Huy


Une exposition intitulée "Vignes et vin en vallée mosane du Moyen Âge à nos jours", organisée par la Maison du Patrimoine Médiéval Mosan, à Bouvignes, en 2010, a mis en valeur cette histoire au moyen de textes anciens, de représentations iconographiques, d'outils et d'objets liés aux traditions et aux activités de la vigne. Cette initiative souligne l'existence d'un patrimoine matériel, bien que sa documentation archéologique précise reste un champ d'étude pour les spécialistes.



Récolte du raisin  au cours de l'OCM (Reconstitution)


Défrichements et poldérisation : 

La forte croissance démographique et la demande accrue en terres cultivables ont entraîné d'importants défrichements des forêts et la conversion de terres marécageuses. Dans les "Pays-Bas" (incluant la Belgique actuelle), de nouvelles terres ont été gagnées sur les zones humides côtières par drainage, créant des polders. Ces nouvelles terres, initialement salées, étaient particulièrement propices à l'élevage ovin.

L'objectif principal de cet élevage n'était pas la viande, mais la production de laine. Dès le haut Moyen Âge, les communautés monastiques et les comtes de Flandre ont encouragé le développement des marais côtiers et des dunes en pâturages pour les moutons. La laine produite localement a alimenté la naissance et l'essor de la prestigieuse industrie drapière des villes flamandes comme Bruges, Gand et Ypres. La qualité de cette laine a permis aux artisans de tisser des draps de luxe qui s'exportaient dans toute l'Europe, faisant la richesse et la renommée de la région.


Le commerce fluvial à Bruges, fin XIIIe siècle (Reconstitution)


Cependant, le succès fulgurant de l'industrie textile a créé une demande en laine si importante qu'elle a rapidement dépassé les capacités de production locale. Dès le XIIe siècle, malgré l'importance de l'élevage local, la Flandre a dû se tourner vers l'importation massive de laine, principalement d'Angleterre, pour satisfaire les besoins de ses nombreux métiers à tisser.

Développement urbain et commercial : 

L'augmentation de la production alimentaire et de la population a stimulé le développement des bourgs et des petites villes, ainsi que l'urbanisation générale du continent. Cela a également relancé le commerce et l'artisanat.

Le Zwin comme exemple :

Coïncidant avec le début de cette période plus chaude, la côte belge a connu une phase de transgression marine, connue sous le nom de "Dunkerque III", succédant à un phénomène de recul marin connu sous le nom de "régression carolingienne". Bien que d'une ampleur moindre que les précédentes, cette avancée de la mer du Nord, datée autour du Xe et XIe siècle, a remodelé le littoral. Les marées ont pénétré plus profondément à l'intérieur des terres, réactivant d'anciens chenaux et en creusant de nouveaux.


Les transgressions marines Dunkerque I, Dunkerque II et Dunkerque III
(Cartes établies par J. Amerijckx en F. Depuydt)


Le Zwin, un estuaire à la frontière belgo-néerlandaise, est un exemple marquant des dynamiques côtières et humaines de cette période. En 1134 de notre ère, une forte onde de tempête a rouvert un ancien estuaire, le Sincfal, donnant naissance au Zwin. Cette nouvelle voie navigable a permis à la ville de Bruges, située à l'intérieur des terres, de devenir l'une des principales villes portuaires médiévales d'Europe. D'autres villes comme Damme, Sluis (L’Écluse) et Sint Anna ter Muiden se sont également développées le long du Zwin.

(Actuellement réduit à un bras de mer d'une avancée de 1 kilomètre dans les terres, le Zwin sera long d'une vingtaine de kilomètres à partir de 1134).

Concernant l'influence directe du climat de l'OCM sur le Zwin, les études indiquent une élévation du niveau de la mer dans la région de l'Atlantique Nord. Le niveau de la mer en Europe occidentale aurait augmenté d'environ 1,0 à 1,6 mètre durant l'OCM, avec certaines estimations allant jusqu'à 2,0 mètres, avant de redescendre pendant le Petit Âge Glaciaire. Une étude des marais salants de la côte atlantique des États-Unis montre une élévation du niveau de la mer de 0,6 mm par an entre 950 et 1400 de notre ère, attribuée à la chaleur médiévale. Des variations locales du niveau de la mer et du climat, plus marquées et ressenties, ont été notées aux Pays-Bas, une région géographiquement et historiquement liée à la Belgique.

Cependant, à partir de la fin du XIIIe siècle, le chenal du Zwin a subi un ensablement progressif. Vers 1500, cette ensablement a rendu la voie navigable inutilisable, coupant ainsi le port de Bruges de la mer. Bien que l'ensablement soit un processus naturel pour les estuaires, l'interaction entre les variations du niveau de la mer dues à l'OCM et les dynamiques sédimentaires locales est complexe. Certaines interrogations suggèrent que la fin de l'Optimum Climatique et le début du Petit Âge Glaciaire, avec une éventuelle baisse ultérieure du niveau marin moyen due à la reformation des glaciers, pourraient avoir accentué l'ensablement et contribué au recul de la mer pour des ports comme Bruges.


Le Zwin à la fin du Moyen Age


En résumé, l'Optimum Climatique Médiéval, caractérisé par des températures plus douces et des conditions agricoles favorables, a eu un impact profond sur la Belgique. Il a stimulé une croissance démographique et économique, favorisé l'expansion agricole, notamment par des défrichements et la poldérisation, et permis l'introduction de nouvelles cultures comme la vigne. Le Zwin, formé par une tempête au début de cette période, a vu son importance croître en tant que porte d'entrée maritime pour Bruges, avant que l'ensablement progressif, potentiellement influencé par les dynamiques climatiques régionales et les changements du niveau de la mer vers la fin de l'OCM, ne le rende impraticable pour la navigation.


(Sources diverses)