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L ' A L C H I M I E E N B E L G I Q U E
L'alchimie est une discipline ancestrale mêlant proto-science, philosophie et mysticisme occulte. Son objectif matériel principal "annoncé" est la transmutation des métaux vils, comme le plomb, en or.
Elle vise surtout la création de la Pierre Philosophale, capable d'offrir l'élixir de longue vie. C'est aussi une quête spirituelle symbolique cherchant la purification et l'élévation de l'âme. Considérée comme l'ancêtre de la chimie moderne, elle a posé les bases de l'expérimentation scientifique.
Les principes alchimiques ont par ailleurs été mis en oeuvre dans le domaine médical. Sous le nom de spagyrie ou iatrochimie, cette alchimie à buts thérapeutiques a fait l'objet de nombreux traités et recettes, écrits, ou mises au point, par des médecins et chercheurs réputés (comme plusieurs médecins des rois de France, par exemple).
Sous le nom d'archimie, terme utilisé notamment par l'adepte Fulcanelli pour la distinguer de l'alchimie classique, des chercheurs ont essentiellement orienté leurs recherches vers le travail des métaux (alors que l'alchimie n'est en fait pas un travail sur de vrais métaux, contrairement à ce qu'elle semble annoncer). En cherchant à imiter l'or ou à l'obtenir réellement par transmutation, les archimistes ont découvert de nombreux alliages et perfectionné des techniques de métallurgie encore utilisées aujourd'hui.
L'histoire de l'alchimie sur le territoire de l'actuelle Belgique se situe à la charnière entre le mysticisme médiéval, la médecine de la Renaissance (iatrochimie) et la naissance de la chimie moderne.
Il est important de noter que le terme « Belgique » est anachronique pour les périodes précédant 1830. On parlera ici des Pays-Bas du Sud (ou Pays-Bas espagnols, ou Pays-Bas autrichiens) et de la Principauté de Liège. Cette région, carrefour commercial et intellectuel de l'Europe, a été un terreau fertile pour les arts du feu et la médecine spagyrique.
Voici une analyse historique, bio-bibliographique et scientifique de l'alchimie dans cette région.
I. Contexte historique et analyse : une Alchimie pragmatique
L'alchimie dans les Pays-Bas du Sud se distingue par deux traits majeurs :
Le lien avec la métallurgie et l'industrie : La région de Liège et de Namur est riche en minerais. Les techniques de purification des métaux (cuivre, laiton, fer) utilisaient des procédés "alchimiques" concrets.
L'influence de l'imprimerie : Anvers, grâce à l'imprimeur Christophe Plantin, devient au XVIe siècle l'une des plaques tournantes de la diffusion des traités alchimiques et médicaux en Europe. Sans les imprimeurs "belges", beaucoup de savoirs hermétiques auraient disparu.
L'Iatrochimie (Chimie médicale) : Sous l'influence de Paracelse, les alchimistes de la région délaissent la transmutation du plomb en or (Chrysopée) pour se concentrer sur la création de médicaments (Spagyrie).
II. Les figures majeures et leurs oeuvres
Voici les principales figures nées ou ayant œuvré activement sur le territoire belge, classées par ordre chronologique.
1. Gerhard Dorn (c. 1530 – 1584)
Né à Malines (Mechelen), Dorn est l'un des plus grands commentateurs de Paracelse. Il est le pont intellectuel entre la magie médiévale et la chimie philosophique.
Philosophie : Il a tenté de créer une « philosophie chimique » basée sur la Bible et la nature. Pour lui, l'alchimie est avant tout une quête spirituelle : la transmutation de l'âme de l'alchimiste est plus importante que celle du métal.
Écrits majeurs :
Clavis totius Philosophiae Chemisticae (La Clé de toute la philosophie chimistique), 1567.
Dictionnaire des termes de Paracelse (essentiel pour comprendre les textes cryptiques de l'époque).
Apport : Il a popularisé le concept de l'Unus Mundus (le Monde Un), qui influencera plus tard le psychologue Carl-Gustav Jung dans ses études sur l'alchimie.
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| Aurora Thesaurusque Philosophorum Gerhard Dorn |
2. Jean Baptiste Van Helmont (1579 – 1644)
Né à Bruxelles, Van Helmont est une figure centrale. Il est considéré comme le dernier des alchimistes et le premier des chimistes.
Biographie : Médecin, mystique et expérimentateur rigoureux. Il rejette la médecine galénique (basée sur les humeurs) pour une médecine chimique. Il vit reclus à Vilvorde pour mener ses expériences.
L'Alchimiste : Il croyait fermement à la Pierre Philosophale. Il affirme même dans ses écrits avoir tenu dans sa main un fragment de la Pierre (qu'il décrit comme une poudre couleur safran) et avoir réussi une transmutation de mercure en or en 1618.
Le Chimiste (Découvertes majeures) :
Invention du mot « Gaz » : Dérivé du mot grec Chaos. Il est le premier à comprendre que l'air n'est pas une substance unique mais qu'il existe différents "airs".
Le « Gaz Sylvestre » : Il identifie ce que nous appelons aujourd'hui le dioxyde de carbone (CO2) lors de la combustion du charbon ou de la fermentation du vin.
La digestion chimique : Il découvre que la digestion n'est pas une cuisson mécanique (chaleur) mais un processus chimique acide.
L'expérience du saule : Une des premières expériences quantitatives de l'histoire de la biologie. Il pèse un arbre, de la terre et de l'eau sur 5 ans pour prouver que la matière de l'arbre vient de l'eau (bien qu'il ait ignoré le rôle de l'air/photosynthèse, la méthode était révolutionnaire).
Écrits : Ortus Medicinae (L'Aurore de la médecine), publié à titre posthume en 1648.
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| Jean-Baptiste Van Helmont |
3. Franciscus Mercurius Van Helmont (1614 – 1699)
Fils de Jean Baptiste, né à Vilvorde.
Profil : Plus aventureux et ésotérique que son père. Il a parcouru l'Europe et fréquenté le philosophe Leibniz.
Travaux : Il a travaillé sur la Kabbale chrétienne et l'alchimie linguistique (l'idée que l'hébreu est une langue naturelle qui reflète la structure de la matière).
Apport : Il a servi de lien entre les cercles alchimiques anglais (Royal Society) et les savants du continent. Il a tenté de soigner des maladies par des procédés alchimiques universels.
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| Franciscus Mercurius Van Helmont |
4. Les Métallurgistes de la Meuse (anonymes et praticiens)
Dans la vallée de la Meuse et à Liège, l'alchimie n'était pas écrite mais pratiquée.
La Calamine et le Zinc : La région de Kelmis (La Calamine) possédait des gisements uniques. Les fondeurs locaux pratiquaient une forme d'alchimie industrielle en transformant le cuivre en laiton (métal jaune ressemblant à l'or) grâce à la calamine (minerai de zinc), sans savoir isoler le zinc métallique pur au début. Ce processus de "teinture" du cuivre était perçu comme une semi-transmutation.
III. Découvertes et héritage : de l'alambic à l'éprouvette
Si l'on analyse l'impact des "alchimistes belges", on constate une transition nette vers la science moderne :
1. En Médecine (Pharmacologie) :
Les alchimistes locaux ont introduit l'usage de minéraux toxiques (mercure, antimoine, arsenic) purifiés par distillation pour soigner des maladies comme la syphilis ou la peste, là où les plantes douces échouaient. C'est l'ancêtre de la chimiothérapie moderne.
2. En Chimie :
L'héritage de Van Helmont est colossal. En insistant sur la balance (la pesée) et en isolant les gaz, il a posé les bases qui permettront à Lavoisier, un siècle plus tard, de formuler la loi de conservation de la masse.
3. La fin de la Transmutation :
Au XVIIIe siècle, dans les Pays-Bas autrichiens (donc la "Belgique" de l'époque), l'alchimie tombe en désuétude au profit de la chimie industrielle (soude, acides). Cependant, des sociétés secrètes ou discrètes (Rose-Croix, Franc-Maçonnerie, etc), très présentes en Belgique, conservent le symbolisme alchimique (mort et renaissance) dans leurs rituels.
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| Cabinet de Réflexion maçonnique (illustration) Le Soufre et le Sel dans les deux coupelles Le coq symbolisant le Mercure Le V.I.T.R.I.O.L. symbolisant le Spiritus Mundi |
IV. Les lieux alchimiques en Belgique
Divers auteurs, symbolistes ou ésotéristes, ont attribué une symbolique alchimique à plusieurs lieux de Belgique : Grand-Place de Bruxelles et ses immeubles, Parc Royal de Bruxelles, Château de Beloeil, Parc d'Enghien, diverses églises et leur Vierge Noire, Hôpital Notre-Dame à la Rose à Lessines, Musée Plantin-Moretus à Anvers, etc.
Il convient cependant d'évaluer leurs informations avec prudence et retenue : des associations hâtives autant qu'enthousiastes entre une symbolique générale à caractère essentiellement décoratif, et des éléments alchimiques précis, sont parfois trompeuses, souvent fantaisistes.
Il existe bien des pistes sérieuses, mais il serait souvent prématuré, avant analyse approfondie, de les déclarer absolument fiables.
Conclusion
En conclusion, les alchimistes du territoire belge ont été moins des "faiseurs d'or" mystiques que des pionniers pragmatiques. Ils ont utilisé les outils de l'alchimie pour révolutionner la médecine et comprendre les états de la matière (les gaz), ouvrant la voie à la science moderne.
(Sources diverses - dont Le Miroir Alchimique - assemblées par la Belgique des Quatre Vents)




