LUCIEN DURRIEUX
Duc de Tervuren
Lucien Durrieux : L’ombre portée du Roi
Né le 9 février 1906 à Saint-Jean-Cap-Ferrat, Lucien Durrieux (1906-1984) reste une figure singulière de la monarchie belge. S’il n’a jamais porté officiellement le nom de Saxe-Cobourg-Gotha, il est historiquement reconnu comme le fils naturel du roi Léopold II et de sa dernière compagne, Blanche Delacroix, mieux connue sous le titre de baronne de Vaughan, ou encore sous le nom de Caroline Lacroix (1883-1948). Il incarne, avec son frère cadet Philippe (1907-1914), second fils de Léopold et de Blanche, la dernière parenthèse intime et familiale du « Roi-Bâtisseur » au crépuscule de sa vie.
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| Léopold II |
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| Tableau titré "La Très Belle", portrait de Blanche Delacroix, par Gabriel Hervé, vers 1900 |
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| "Portrait de la baronne de Vaughan" par Eugène Siberdt, 1906 |
1. Le « Duc de Tervuren »
Lucien vient au monde alors que Léopold II est âgé de 70 ans. Pour le vieux souverain, fatigué par les affaires d'État et éloigné de ses filles légitimes, cette naissance est une résurrection. L’enfant naît à la villa Les Cèdres, luxueuse résidence du Roi sur la Côte d'Azur.
Bien que l'enfant ne puisse prétendre à aucun droit dynastique (la Constitution belge étant stricte sur la légitimité), Léopold II entoure ce fils tardif d'une affection débordante, contrastant avec l'image publique d'un monarque froid. Dans l'intimité, le Roi lui donne un titre de courtoisie : il sera le Duc de Tervuren (tandis que son frère Philippe, né en 1907, sera surnommé le Comte de Ravenstein).
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| Blanche Delacroix et ses deux fils, Lucien et Philippe |
Durant ses trois premières années, Lucien vit dans une bulle dorée, voyageant entre Bruxelles, le sud de la France et le château de Balincourt dans la région d'Île-de-France, choyé par un père qui voit en lui les traits de sa propre lignée.
2. Le mariage in extremis et la légitimation
En décembre 1909, la santé de Léopold II décline brusquement. Quelques jours avant sa mort, le 12 décembre, le Roi épouse religieusement (mais non civilement, ce qui n'a donc pas de valeur légale en droit belge) Blanche Delacroix pour tenter de régulariser sa situation devant l'Église.
À la mort du Roi, le 17 décembre 1909, l'univers de Lucien bascule. Il n'a pas quatre ans et perd son protecteur absolu.
Pour assurer un statut social et un nom officiel à ses enfants, sa mère, Blanche Delacroix, épouse quelques mois plus tard, en 1910, Antoine Durrieux, son ancien amant qu'elle avait quitté pour le Roi. Antoine Durrieux reconnaît les deux garçons, leur donnant ainsi son patronyme. L’enfant royal devient donc officiellement : Lucien Philippe Marie Antoine Durrieux.
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| Lucien, Blanche et Philippe |
3. Une vie d'exil et de discrétion
Élevé en France, loin de la cour de Bruxelles qui cherche à oublier cette « seconde famille », Lucien grandit dans un confort matériel certain, protégé par sa mère.
Contrairement à d'autres enfants illégitimes royaux de l'histoire européenne qui ont parfois cherché la lumière ou la revendication, Lucien Durrieux opte pour une existence d'une discrétion absolue. Il ne fera jamais valoir ses origines, pour ne pas troubler la monarchie belge, respectant une sorte de pacte de silence.
Il épouse en 1927 Lucie Mundutey (1900-2005). Le couple, qui n'aura pas d'enfant, mène une vie bourgeoise et rangée en France, plus précisément à Cambo-les-Bains. Lucien y gère son patrimoine (dont une rente accordée discrètement par la famille royale belge), vivant à l'écart des mondanités.
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| Lucie Mundutey |
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| Lucie Mundutey, Lucien Durrieux et Blanche Delacroix |
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| Lucien Durrieux et Lucie Mundutey dans leur villa En arrière-plan le portrait de Léopold II |
4. La ressemblance troublante
Ce qui frappera tous ceux qui croiseront la route de Lucien Durrieux à l'âge adulte, c'est son physique. Avec les années, la nature a confirmé ce que Léopold II espérait au berceau : Lucien est le portrait vivant de son père. Sa grande taille, sa stature, la forme de son visage, en font une copie quasi conforme du Roi.
Épilogue
Lucien Durrieux s'éteint le 15 novembre 1984, à l'âge de 78 ans, près de 75 ans après la mort de son père. Il emporte avec lui le souvenir lointain d'avoir été, le temps de quelques années, l'enfant chéri d'un des rois les plus puissants du XIXe siècle. Il repose au cimetière de Cambo-les-Bains en région de Nouvelle-Aquitaine, ultime chapitre d'une histoire royale écrite dans la marge.
LUCIEN DURRIEUX RACONTE...
Je n’aime pas qu’on parle de moi. Le roi est mort sans pouvoir nous légitimer, mon frère et moi. Nous sommes donc nés de père indéterminé, et lorsqu’après la mort du roi, ma mère s’est remariée avec un officier français, Emmanuel Durrieux, cet homme nous a donné son nom. Ainsi je m’appelle officiellement, pour l’état civil, Lucien Durrieux duc de Tervuren, mais je me présente toujours uniquement sous le nom de Durrieux (...)
Le roi a épousé religieusement ma mère une première fois à Cap-Ferrat et une seconde fois à Laeken, trois jours avant sa mort. Il avait l’intention d’abdiquer ensuite pour pouvoir l’épouser civilement et nous légitimer, Philippe et moi, mais il n’en a pas eu le temps. Il voulait que soit d’abord votée la loi sur le service militaire obligatoire, étant convaincu de l’imminence de la guerre avec l’Allemagne, puis il est mort.
J’ai aussi beaucoup de souvenirs personnels, car comme la plupart des vieillards, je me rappelle mieux ce qui s’est passé dans ma prime jeunesse que ce que j’ai vécu ces dernières années.
Ma mère m’a dit qu’elle avait vécu dix ans comme une reine aux côtés du roi, surtout après la mort de Marie-Henriette. Ils étaient d’ailleurs ensemble en France lorsque le maréchal de la cour annonça à Léopold II le décès de son épouse à Spa, où elle vivait retirée. Bien qu’ils fussent séparés de fait depuis longtemps, le roi parut sincèrement attristé par la nouvelle. La baronne, ma mère, assista aux funérailles d’un balcon que le roi lui avait fait réserver en face de l’église de Laeken. Ensuite, ma mère put entrer au château de Laeken et au Palais de Bruxelles comme si elle entrait chez elle. Sa demeure officielle restait toutefois la villa Van der Borght, reliée au palais par un pont surplombant une rue, et non par un souterrain (...)
Ma mère possédait également une villa à Ostende, à côté de la villa royale. Là, le roi avait en effet fait construire un tunnel pour pouvoir rejoindre facilement sa maîtresse ou la laisser venir à la villa royale, sans qu’aucun d’eux ne soit vu. Ma mère résidait aussi, en été, à la villa des Cèdres, à Saint-Jean-Cap-Ferrat, où je suis né.
Avec beaucoup de précision, elle me raconta ma naissance qui s’était déroulée non sans difficulté. Le roi était arrivé en cachette, sur la côte d’Azur, avec son yacht : l’Alberta. Il était accompagné des meilleurs gynécologues de l’époque, conduit par son médecin personnel, le professeur Jules Thiriar et par le neveu de celui-ci, le docteur Lucien Thiriar, qui fut mon parrain. Ce furent des officiers de l’entourage du roi qui déclarèrent ma naissance à la mairie de Cap-Ferrat (...)
À cette époque, le roi était attaqué dans tous les journaux européens à propos de sa politique africaine. Il s’était fait proclamer souverain de l’État indépendant du Congo par la conférence de Berlin. En Belgique, il faisait l’objet d’attaques virulentes de la part de l’opposition socialiste. Ses adversaires s’en prenaient aussi à sa vie privée, et ma naissance avait mis de l’huile sur le feu (...)
Un jour, ma voiture conduite par un cocher du palais fut attaquée par des femmes en colère, en plein centre de Bruxelles, et ce n’est qu’à la vigueur des chevaux que nous dûmes notre salut. Dès mon arrivée au palais, je me plaignis auprès du roi. Il convoqua immédiatement son ministre de l’Intérieur, responsable de l’ordre public, et je pus assister à l’entretien, d’un salon adjacent au bureau du roi dont la porte était restée ouverte. C’était M. Schollaert qui était ministre de l’Intérieur à cette époque. Le roi lui ordonna de prendre les mesures nécessaires pour que de tels incidents ne se reproduisent plus, mais le ministre osa répliquer que si je ne montrais pas si souvent dans des voitures de la cour dans le centre de Bruxelles, cela n’arriverait pas. Et, comme le roi resta interloqué, le ministre osa même suggérer que je parte immédiatement en France. C’en était trop pour Léopold II qui renvoya le ministre en lui disant que si quelqu’un osait ordonner à la baronne de quitter la Belgique, il la suivrait immédiatement (...)
Le roi, que mon frère et moi appelions Colas parce qu’il ressemblait tellement à saint Nicolas, nous avait offert un âne orné de pompons rouges et un poney qui tirait un petit tonneau dans l’immense parc du château. En été, on gambadait toute la journée en compagnie des nurses, tandis que la baronne et le roi roulaient à toute vitesse avec les première Renault sur les routes des villages environnants (...)
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| Blanche Delacroix et ses deux fils, Lucien et Philippe |
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| Lucien Durrieux |
(Source diverses assemblées par la Belgique des Quatre Vents)











