TRADITIONS La chapelle du St Sépulcre à Bruges

 

Vue de Bruges (Belgique)
Gravure emblématique avec des vers en latin et en allemand, 
parue dans: Daniel Meisner, Thesaurus Philopoliticus
Frankfurt am Main, 1623-1632.

LA CHAPELLE DU SAINT SÉPULCRE 

(Bruges)


Marie de Ploennies

1848











LEGENDES Le dragon du beffroi de Gand

 

Paolo Ucello - Saint Georges et le dragon

LE DRAGON DU BEFFROI
(Gand)


Marie de Ploennies

1848


Au sommet du beffroi de Gand, un énorme dragon à longue queue, à ailes étendues et à gueule ouverte tourne au gré des vents. Il est fait en pièces de métal artistement rapportées; la légende suivante s'y rattache et explique son origine:
Un roi puissant et quelque peu enchanteur régnait à Jérusalem, au temps des croisades; il avait une fille d'une grande beauté qui s'appelait Blanka. Un jour qu'elle se promenait avec ses femmes au bois de cyprès et de palmiers des environs de la ville, elle s'y avança tellement que l'ayant traversé elle se trouva tout-à-coup dans une plaine qui lui était tout-à fait inconnue; grande fut sa frayeur. Elle et ses compagnes aperçurent de loin un nuage de poussière ce qui les décida à attendre un instant, car Blanka s'imagina que c'était un prince voisin qui venait visiter son père; cependant le nuage s'approchait et les femmes purent distinguer une armée étrangère dont les bannières et les armes leur étaient inconnues. Effrayées, elles voulurent fuir; mais il était trop tard. Les chefs de l'armée accoururent vers elles et leur barrèrent le passage; alors ils leur parlèrent en termes polis et respectueux, car ils voyaient bien qu'ils avaient à faire à des dames de haut parage:
Pourriez-vous, dirent-ils, nous indiquer le plus court chemin pour aller à Jérusalem, la ville sainte ?  Nous en sommes sans doute très-près, et vous pourriez probablement nous donner quelques renseignements.
Nous sommes parties ce matin de Jérusalem, et nous nous sommes égarées dans le bois, répondit Blanka. Par conséquent -il nous serait difficile de vous satisfaire.
Qui êtes-vous donc belle damoiselle, demanda Baudoin. Permettez nous de vous accompagner, puisque nous devons arriver au même but?
Je suis la fille du roi, répondit Blanka, j'accepte votre offre, pourvu que vous me disiez qui vous êtes.
Mon nom est Baudoin, je suis prince chrétien; cependant ne craignez rien, il ne vous arrivera aucun mal.
On fit aussitôt monter Blanka et ses dames à cheval, les chevaliers l'entourèrent et le cortège se remit en marche. Blanka n'était pourtant pas sans inquiétude, elle ne pressentait rien de bon, et elle ne se trompait pas, car à peine eurent-ils aperçu de loin les murs de Jérusalem, que sur un signe de Baudoin, quatre autre chefs s'approchèrent et placèrent Blanka au milieu d'eux.
Demeurez en paix auprès de ces chevaliers, belle damoiselle, dit Baudoin, ils auront pour vous et vos femmes tous les égards possibles.
Les quatre chefs galopèrent vers une tour isolée au milieu des champs, et en prirent possession après en avoir chassé les habitants, et y enfermèrent Blanka et ses femmes. Une seule, grâce à la vitesse de son cheval parvint à s'échapper, elle gagna Jérusalem et instruisit le roi de la captivité de sa fille. Le monarque conçut un vif chagrin à cette nouvelle ; il alla à l'une des tours de son palais, et envoya de là un énorme dragon, afin de garder la prison de Blanka, après quoi il s'enferma dans son cabinet pour y pleurer son infortune. Enfin il convoqua son conseil où il fut décidé qu'un député serait aussitôt envoyé afin de négocier moyennant une forte somme le relâchement de Blanka et de sa suite. Quelques heures après la porte de la salle s'ouvrit et le député en sortit. Il marcha droit aux tentes des ennemis. C'étaient celles des Gantois. Lorsqu'il leur eut appris la proposition du roi, ils se mirent à rire: „Non," dirent-ils, nous gardons la fille du roi comme otage nous ne la rendons qu’à une seule condition, vous nous livrerez votre ville.
« Si vous désirez ravoir la princesse à ce prix, venez la prendre, si non, demain on verra flotter notre étendard sur vos murailles." Quelques chevaliers brugeois se trouvaient par hasard aux environs; ayant tout entendu ils suivirent le messager et lui dirent: „Que le roi nous donne seulement la somme d'argent et sa fille lui sera rendue. S'il est content, apporte nous l'argent cette nuit, et demain matin la jeune fille sera dans ses bras." Satisfait du succès de son entreprise, le messager rapporta la nouvelle au roi qui le renvoya à l'heure convenue avec la somme demandée. Cependant il fut trompé dans son attente, le brugeois qui était un fripon fit lâchement assassiner l'envoyé et s'appropria l'argent. Il donna ensuite un soporifique au dragon et lorsque le monstre fut plongé dans un profond sommeil, il le tua avec l'aide des autres brugeois et le chargea sur plusieurs chevaux. Ayant ensuite invité Blanka a monter à cheval, il courut au port et s'y embarqua avec elle. Baudoin n'apprit cette action déloyale que trop tard, et lorsque les Gantois indignés coururent au rivage pour rejoindre le brigand, ils n'aperçurent dans le lointain que la voile blanche de son vaisseau qui se balançant au gré des vents, semblait défier leur colère.
Le chevalier eut entre temps une très-bonne traversée, et son voyage fut d'autant plus heureux qu'il sut gagner le coeur de la jeune païenne et qu'il parvint enfin à lui faire embrasser le christianisme. Ils aperçurent les côtes de la Flandre plus tôt qu'ils ne l'eussent espéré. Après être débarqués, ils se rendirent au sommet d'une dune élevée où se trouvait une petite chapelle, bâtie par Saint Eloi, où les pêcheurs avaient coutume de venir entendre la messe le dimanche. L'heureux couple n'eut pas plus tôt mis le pied  sur le sol de la Flandre, que la clochette de cette chapelle fit retentir des sons purs et argentins.
Où sommes nous, demanda Blanka, quel est ce village que nous apercevons au-delà des dunes?
Comment on l'appela jusqu'à ce jour, je l'ignore, répondit le chevalier, mais dès ce moment s'y attache l'éternel souvenir de ton arrivée en Flandre,  je le nomme Blankenberg.
Ils entrèrent tous deux dans l'église, le prêtre montait à l'autel pour célébrer la messe. Cette imposante cérémonie fit tant d'impression sur l'âme de Blanka, qu'elle conjura le chevalier de ne point retarder davantage son baptême et de la faire mettre au nombre des fidèles. Rien n'était plus agréable au chevalier, et peu de jours après, Blanka reçut le sacrement du baptême; le même jour on célébra son mariage avec le chevalier. Ils partirent alors pour Bruges où ils passèrent leurs jours dans la tranquillité et le bonheur. Ils firent présent à l'église de St. Donat du dragon qui resta suspendu à la voûte par des chaînes de fer. Plus tard les iconoclastes ne le respectant pas plus que les images des saints, le brûlèrent. Les Brugeois y tenaient cependant, de sorte que sa perte leur causa un vif chagrin; afin de ne pas en perdre le souvenir, ils chargèrent un artiste d'en faire un semblable en bronze lequel fut placé sur la tour de St. Donat.
A cette époque on ne pensait déjà plus aux croisades ni à Baudoin, cependant l'action honteuse du chevalier brugeois n'était pas encore effacée de la mémoire des Gantois. Cette légende passa par tradition de père en fils et nourrit toujours dans le coeur des Gantois une haine profonde contre leurs voisins les Brugeois et lorsque les premiers visitaient le monde d'or (c'est ainsi que l'on appelait alors Bruges) le dragon leur donnait dans l'oeil et leur arrachait maint jurement. Cela dura longtemps, jusqu'à ce qu'enfin leur haine éclata; cette occasion ne leur fut fournie que dans le seizième siècle par Artevelde, le célèbre et héroïque brasseur de leur ville. Son appel guerrier fut rarement reçu avec autant d'enthousiasme que lorsqu'il engagea les Gantois à aller combattre les Brugeois. Vieux et jeunes le suivirent avec joie, et en peu de jours la ville de Bruges fut serrée de si près que la famine s'y déclara avec une intensité épouvantable; un miracle seul eût pu sauver les assiégés. On se mit en prière dans toutes les églises, des processions parcouraient les rues pour implorer la protection de Saint Georges. Cela fut rapporté aux Gantois, et un jour qu'ils entendirent chanter une procession à une extrémité de la ville, ils entrèrent brusquement par le côté opposé, et ils étaient déjà sur le grand marché, quand les Brugeois eurent le temps de revenir de leur surprise. Ils coururent en vainqueurs à l'église de St. Donat et descendirent Je dragon au moyen de cordes solides jusqu'à terre, où il fut salué par les acclamations des Gantois. Le lendemain on l'emporta à Gand, et les magistrats décidèrent qu'on le placerait sur la tour de l'hôtel de ville, où l'on peut encore le voir aujourd'hui.

LEGENDES Le cheval Bayard en ses diverses processions

 

Le Cheval Bayard à l'Ommegang de Louvain en 1594


LE CHEVAL BAYARD

(Termonde - Malines - Gand - Ath - Namur - Alost - Louvain...)



Marie de Ploennies

1848


Il y a tous les ans à Cologne et à Venise, lors du carnaval, des mascarades réjouissantes où se déploie une gaîté franche, énergique et parfois un peu crue; la même chose a lieu en Belgique, toutefois à d'autres époques et avec des objets plus déterminés que l'on promène processionnellement.
Chaque ville avait sa famille de géants que l'on promenait par les rues aux occasions de réjouissances. Le père des géants pouvait facilement regarder par la fenêtre du troisième étage, et même au-dessus de certaines maisons; la mère n'avait pas la taille du vieux, cependant elle compensait par son ampleur ce qui lui manquait eu hauteur. L'aîné des fils atteignait au second étage des maisons, les filles n'étaient pas moins grandes et le poupon quoiqu'emmaillotté était forcé de baisser la tête lorsque le cortège passait sous une haute porte de ville. On voyait en outre dans le cortège des spectres, des dragons, des lions, des baleines toutes montées et conduits par des cupidons; la roue de fortune sur laquelle des hommes de toute espèce tournaient avec une vitesse incroyable; une maison de paysans avec une kermesse digne du pinceau de Teniers etc. A Termonde, le rôle principal était assigné au cheval Bayard monté par les quatre héros, enfants d'Aya, les fils Aymon. La description que nous faisons de ce gigantesque animal, et notre ami lecteur nous croira sans doute, quand nous lui dirons que ce cheval était porté par trente quatre hommes cachés sous la longue couverture qui descendait de son dos et de son cou. Quatre chevaliers étaient assis sur une énorme selle; ce devaient être quatre frères. La queue était composée de plus de trente queues de chevaux ordinaires; cependant on passera légèrement sur ces détails, car la tête seule de l'animal attirera tous les regards. Cette tête est un chef-d'oeuvre, et le plus grand chef-d'oeuvre de la ville de Termonde.
Jadis vivait dans cette ville un habile sculpteur en bois dont la renommée s'étendait au loin; cependant, comme sont souvent les grands artistes, cet homme était adonné au jeu et à la boisson. Il passait la moitié de la nuit au cabaret, tandis que sa femme et ses enfants souffraient les angoisses de la faim. Un jour, ayant perdu son salaire au jeu il ne savait comment se procurer du pain pour le lendemain et de l'argent pour régler ses comptes le soir suivant avec ses compagnons de bouteilles; s'étant déguisé, il alla se poster sur la grand' route pour attendre un voyageur allant à la ville. Après avoir longtemps attendu en vain, il entendit dans le lointain le pas d'un individu qui s'approchait et bientôt il vit un joyeux garçon sifflant une chansonnette. Il sauta promptement sur lui et leva son bâton pour l'en frapper, mais l'autre se baissa, et le sculpteur se sentit saisir à la gorge et renverser à terre. Quelques paysans accourus au cri du voyageur, garottèrent l'agresseur et le conduisirent devant les juges. Les échevins connaissant depuis longtemps la mauvaise conduite de l'accusé n'eurent pas de peine à ajouter foi aux plaintes dont il était l'objet, aussi le jugement qu'ils portèrent fut que: „Maitre Liévin Vandevelde serait pendu par le cou jusqu'à ce que mort s'en suive."
Environ quinze jours après ce jugement, on annonça de tout côté, à son de trompe,  qu' une procession où figurerait le cheval Bayard devait avoir lieu. Cependant la tête du cheval est tellement rongée par les vers que l'on pouvait regarder à travers comme par une dentelle. Il fera honte à la ville devant les nombreux étrangers dont la présence embellira cette fête. Lorsque le secrétaire fit part de cela au magistrat, celui - ci convoqua le conseil. Il n'y avait qu'un sculpteur sur bois à Termonde, c'était Liévin Vandevelde, condamné à mort par le conseil. On décida donc que l'on proposerait à Vandevelde que, s'il achevait promptement l'ouvrage, on l'enterrerait en terre sainte, et on ne laisserait pas séjourner son cadavre à la potence. Le sculpteur se mit à rire à ces paroles: Allez dire à ces messieurs, dit-il, que je m'inquiète fort peu de ce qu'on fera de mon cadavre; qu'on me donne la vie et la liberté, et avant quinze jours le cheval Bayard aura une tête, comme aucun sculpteur ne pourrait en tailler une. Le magistrat fut longtemps indécis, cependant l'honneur de la ville parla plus haut que la justice, et le conseil accorda la chose.
La veille de la fête, le maître se présenta suivi de deux hommes portant la tête de Bayard. Lorsqu'il leva le voile qui la couvrait, tous jetèrent un cri d'admiration et ne purent en détacher leurs regards; le lendemain elle fut exposée aux yeux du peuple qui ne se lassa point d'admirer ce magnifique chef-d'oeuvre. Cette nouvelle s'étendit, au loin dans le pays et une foule de curieux afflua bientôt à Termonde. Maître Liévin Vandevelde avait, dès sa sortie de prison, changé de conduite, il vécut encore longtemps à la joie de ses amis et concitoyens.
Lorsqu'à l'occasion de la fête on promène le cheval Bayard, on se dirige d'abord du côté du grand marché, dans les quatre angles duquel sont placés de petits mortiers que l'on décharge aussitôt que Bayard est au milieu de la place. Le noble coursier se cabre, fait semblant de combattre, se tourne d'un côté et d'autre, jusqu'au dernier coup. Alors il salue le peuple qui le couvre d'applaudissements comme vainqueur. Après avoir parcouru son itinéraire dans la ville de Termonde, il rentre à l'hôtel de ville où il attend dans un grenier le retour de nouvelles fêtes.

NDLRB :

Liste des localisations du cheval Bayard (xve et xvie siècles)


Malines : 1416
Lierre : 1417
Louvain : 1428
Audenarde : 1433
Eindhoven : 1437
Termonde : avant 1461
Ath : 1462
Tirlemont : 1471
Bergen-op-Zoom : 1484
Alost : 1497
Breda : 1502
Dordrecht : 1506
Bruges : 1513
Nivelles : entre 1457 et 1515
Namur : 1518
Bruxelles : 1529
Léau : 1538
Diest : 1561