° Anvers - Les réfugiés juifs du Saint-Louis

 

A Anvers, guidés par la gendarmerie belge et la police anversoise,
les réfugiés du Saint-Louis embarquent dans un train qui les mènera à Bruxelles


LES RÉFUGIÉS JUIFS DU SAINT-LOUIS


Le 13 mai 1939, le paquebot transatlantique allemand Saint-Louis de la Hamburg-Amerika Linie, commandé par le capitaine Gustav Schröder, quitte le port d'Hambourg, emportant 937 réfugiés Juifs, principalement Allemands, à destination de Cuba.


Le paquebot Saint-Louis de la Hamburg-Amerika Linie

Le régime nazi instauré en 1933 par Adolf Hitler, n'a eu de cesse de laisser accroître une énorme pression sur les Juifs d'Allemagne, pour les inciter à quitter le pays. Pression portée par diverses exactions :  interdiction d'exercer certaines professions, lois restrictives diverses, dégradations ou privations de biens, violences physiques...

Dès 1933, bon nombre de Juifs ont déjà quitté l'Allemagne pour assurer leur sécurité. Ils émigrent aux Etats-Unis, en France, en Belgique, en Palestine, etc. D'autres réalisent plus tardivement que leur sort est de plus en plus compromis, notamment après ce pogrom de novembre 1938 que l'on appellera "la Nuit de Cristal".


Les passagers embarquent à bord du Saint-Louis, à Hambourg

Photo de groupe à bord du Saint-Louis





Lorsque le Saint-Louis quitte Hambourg en mai 1939, ces réfugiés juifs sont munis d'un certificat de débarquement à Cuba émis en bonne et due forme, et donc valide. Mais, de manière inattendue, une semaine plus tôt et sans que les émigrés en soient avertis, les autorités cubaines modifient les règles d'admission sur leur territoire, instaurant en outre une obligation faite aux émigrés de verser une caution de 500 dollars US par personne (500 dollars US de 1939 équivalent approximativement à 10.000 dollars US en 2023), alors qu'ils avaient déjà déboursé 150 dollars US pour obtenir ce premier certificat désormais caduc. 

Arrivé le 27 mai au large du port de La Havane, le paquebot n'est pas autorisé à accoster et doit mouiller en dehors de la rade. D'une manière ou d'une autre, le gouvernement cubain veut empêcher le débarquement de ces réfugiés sur son territoire, craignant un exemple qui provoquerait ultérieurement une arrivée massive d'autres réfugiés.

De toute façon dans l'incapacité de régler cette nouvelle taxe, et considérés comme personae non gratae, les réfugiés ne peuvent donc débarquer à Cuba.

Le 2 juin 1939, contraint de quitter les eaux cubaines, Schröder met le cap sur les Etats-Unis.


Le Saint-Louis dans le port de La Havane, Cuba







La police cubaine escorte le Saint-Louis, afin d'empêcher tout débarquement de passagers

La presse mondiale évoque le sort des réfugiés juifs du Saint-Louis


En théorie, le Saint-Louis doit retourner à Hambourg. Ce que le capitaine Schröder refuse d'envisager, conscient du sort qui attend ses passagers s'ils reviennent en Allemagne nazie.

Après avoir tenté - en vain - de modifier l'attitude des autorités cubaines, il fait envoyer plusieurs messages au président Roosevelt, espérant en retour une permission de débarquer ses passagers à Miami, en Floride. Mais les Etats-Unis ne répondent pas à ses appels. Il envisage alors de faire échouer son bateau sur la côte américaine. La garde côtière des Etats-Unis l'en empêchera. 

Entre-temps, les autorités canadiennes, et plusieurs pays d'Amérique Latine, manifestent également leur opposition au débarquement des réfugiés sur leur territoire (en 2018, Justin Trudeau, premier ministre canadien, présentera les excuses officielles de son pays pour avoir également refoulé ces réfugiés).


Quelques réfugiés, au cours de la traversée de l'Atlantique

Gisela Feldman, qui ralliera l'Angleterre après son arrivée à Anvers

Sol Messinger, 7 ans, entouré de ses parents.
Ils seront arrêtés en France et internés par les nazis en 1940,
mais réussiront à s'évader et à rejoindre les Etats-Unis.

Schröder met alors le cap sur l'Angleterre, bien décidé à faire échouer son bateau sur une côte de ce pays-là, de manière à rendre impossible le retour de ses passagers en Allemagne.

Il n'aura cependant pas à le faire. En urgence, plusieurs organisations juives ont entamé des négociations avec quatre pays - la Belgique, la France, le Royaume-Uni et les Pays-Bas - pour obtenir des visas d'entrée en faveur des réfugiés. Ces quatre pays acceptent, et le Saint-Louis peut donc accoster au port d'Anvers, en Belgique, le 17 juin 1939.



Arrivée du Saint-Louis à Anvers, le 17 juin 1939
A l'avant-plan, des gendarmes belges, pour assurer le bon déroulement du débarquement 

Quelques instants avant le débarquement, la joie des réfugiés...

Débarquement des réfugiés à Anvers, et présence de la police anversoise

Débarquement des réfugiés à Anvers

La Belgique accepte d'accueillir 214 passagers; le Royaume-Uni 288; les Pays-Bas 181 et la France 224. 

Après avoir quitté le Saint-Louis, les rescapés sont dirigés vers des lieux d'hébergement, par train (pour la Belgique) ou par bateau (pour le Royaume-Uni et la France, le steamer allemand Rhakotis de la Hamburg-Amerika Linie assurant leur transport; les réfugiés accueillis par les Pays-Bas embarqueront à bord du Jan-van-Arkel, à destination de Rotterdam).

 

A Anvers, la gendarmerie belge guide les réfugiés vers les trains
qui les amèneront à leurs lieux d'hébergement en Belgique.
Certains d'entre eux seront accueillis à Bruxelles, d'autres seront dirigés vers 
un centre de réfugiés dans la province de Liège.

Embarquement à Anvers, à destination de Bruxelles

Embarquement à Anvers, à destination de Bruxelles

Embarquement à Anvers, à destination de Bruxelles

En France... Journal Le Peuple du 20 juin 1939

En France... Journal Le Peuple du 20 juin 1939

Les réfugiés dirigés vers l'Angleterre ne subiront pas les conséquences de la barbarie nazie au cours de la Seconde Guerre Mondiale. Ceux qui ont été hébergés par la Belgique, la France et les Pays-Bas connaissent par contre des sorts divers, ces pays étant envahis par l'Allemagne dès le mois de mai 1940. Bon nombre d'entre eux seront arrêtés et envoyés dans des camps de concentration; 254 des anciens passagers y périront. 

Gustav Schröder, quant à lui, après un nouveau voyage vers l'Amérique, parvient à revenir à Hambourg, le 1er janvier 1940, malgré la guerre qui vient d'éclater. Les autorités nazies ne le sanctionnent pas pour son acte de désobéissance en faveur des réfugiés juifs, mais utilisent abondamment l'affaire à des fins de propagande,  fort désireuses de montrer au monde les contradictions des "démocraties" qui ont refoulé des Juifs de leur territoire.

Après la reddition de l'Allemagne, et au cours du processus de dénazification engagé par les Alliés, plusieurs rescapés du Saint-Louis témoigneront en faveur du capitaine Schröder. 

En 1957, la République Fédérale d'Allemagne lui attribue l'Ordre du Mérite, "pour service rendu au pays grâce à ce sauvetage de réfugiés". Et le 11 mars 1993, l'Institut International pour la Mémoire de la Shoah "Yad Vashem" lui décerne, post mortem, le titre de "Juste parmi les Nations" pour son action en faveur de ses passagers juifs. 

 

Le capitaine Gustav Schröder (1885-1959)

Lettre de remerciement du capitaine Schröder
à l'organisation ayant conclu accord avec les pays d'accueil.


Charles Saint-André