CARTES POSTALES ET VUES D'AUDERGHEM
ENTRE 1890 ET 1940
ou
"La saga du navetteur et le Carrefour Léonard revisité"
Auderghem est l’une des localités les plus visitées de Belgique… visitée ou plutôt traversée, chaque jour, par des dizaines de milliers de navetteurs qui se rendent à Bruxelles pour raisons professionnelles, en provenance de Flandre ou de Wallonie.
La plupart d’entre eux entrent sur le territoire de cette commune bruxelloise en croisant – sorte de mythe moderne pour les chevalier(e)s de la route – le fameux carrefour Léonard…
« Embarras de circulation au carrefour Léonard »… « Accident au carrefour Léonard »… « Travaux au carrefour Léonard »…
Dans la longue litanie des perturbations routières que diffusent jour après jour les émetteurs nationaux, le carrefour Léonard détient sans doute quelques records de l’information.
C’est là, donc, que les navetteurs entrent à Auderghem, pour s’éparpiller ensuite au Transvaal, ou dans la chaussée de Wavre, le boulevard du Souverain, l’avenue Hermann-Debroux, etc.
Savent-ils, ces navetteurs, qu’autrefois, le carrefour Léonard n’était que le croisement entre la chaussée de Wavre et une étroite allée de la Forêt de Soignes, où, le dimanche, les habitants d’un village voisin – Auderghem – se rendaient, le plus souvent à pied, pour déguster un faro ou manger une omelette… «A l'Ambulance - Estaminet - Chez Léonard Boon », ce Léonard qui laissera son prénom à la postérité ?
Tentons, entre insolite et nostalgie, de remonter le temps… Découvrons ici quelques vues et paysages de jadis, de cet Auderghem d’antan…
Après avoir lu et vu cet article, les navetteurs, au volant de leurs « rapides » machines, auront-ils peut-être – en traversant Auderghem - un petit pincement au cœur qui leur fera oublier la monotonie de leurs aller-retour quotidiens…
Charles Saint-André
Le Carrefour Léonard
Le Carrefour Léonard
"A l'Ambulance - Estaminet - Chez Léonard Boon"
Auderghem en 1908
Chaussée de Wavre
"Laiterie des Trois Fontaines - Chez Léonard"
(l'immeuble existe toujours, à peu de distance du carrefour Léonard)
Le premier débit de boissons de Léonard Boon (1842-1912), une roulotte d'ailleurs, se nommait "A l'Ambulance - Estaminet - Léonard Boon", et était situé exactement sur l'actuel carrefour Léonard.
Léonard, qui vendait ses boissons en toute illégalité - mais jouissait de la protection du prince Baudouin à qui il avait rendu service - avait affiché cette devise dans son estaminet-roulotte :
Ik woon hier in het bosch
Waar kan ik beter wenschen
De zegen van de Heer
En de toevlucht van de menschen ?
J'habite ici dans le bois
Où puis-je mieux attendre
La bénédiction du Seigneur
Et être le refuge des gens ?
Après la mort de son protecteur, le prince Baudouin, comte de Flandres et héritier du trône de Belgique, Léonard se maria avec Catharina Debecker. Le couple s'installa dans une maison de la chaussée de Wavre, à quelque 1.500 mètres du carrefour Léonard, où Léonard et Catharina exploitèrent - en toute légalité cette fois - la "Laiterie des Trois Fontaines" à l'enseigne "Chez Léonard"...
C'est en 1983 que le fameux carrefour fut appelé "carrefour Léonard", en souvenir de cette figure emblématique d'Auderghem.
Auderghem
Laiterie "Aux Trois Fontaines"
Auderghem
Avenue Hermann-Debroux
Comité de secours et d'alimentation, pendant la Première Guerre Mondiale
(Aide américaine à la population belge, avant l'intervention armée des Etats-Unis d'Amérique aux côtés des Alliés en avril 1917)
Auderghem en 1920
Ecole communale des filles
"Hommage de reconnaissance à l'Amérique"
Coin de la chaussée de Wavre et du boulevard Général Jacques
Brasserie "A la Clef d'Auderghem"
Avenue L. Vandromme
Avenue Albert Meunier.
Ex Rue du Transvaal, par référence à la Seconde Guerre des Boers,
en 1899-1902, au cours de laquelle la cartoucherie Uldarique Marga, installée près de cette artère (le long de la drève du Rouge-Cloître, à Ten Bruxkens), fournissait des munitions aux Boers de l'Etat libre d'Orange et de la République sud-africaine du Transvaal.
(Un "Quartier du Transvaal" existe toujours à Auderghem).
Ex Rue de l'Homme de Bien.
Auderghem
Avenue des Frères Goemaere
Ex Chaussée de Boitsfort
Avenue Val-Duchesse
Avenue Van Elderen
Avenue Walckiers
Avenue de la Chasse Royale
Brasserie de la Chasse Royale
Auderghem vers 1900
La chaussée de Tervuren
Auderghem
Chaussée de Tervuren
Le Chalet Robinson (entrée du Rouge-Cloître)
Auderghem
Chaussée de Tervuren
"A la Belle-Vue du Rouge-Cloître"
Auderghem
Chaussée de Tervuren et chaussée de Wavre
Estaminet "A la Belle Vue"
Chaussée de Tervuren et chaussée de Wavre
Coin de la chaussée de Tervuren et de l'avenue Walckiers
Auderghem
Chaussée de Tervuren
Château Madoux
"Château des Orchidées"
(démoli en 1948)
Auderghem
Avenue Sainte-Anne
ECAM - Ecole Centrale des Arts et Métiers
(et château des Orchidées)
Chaussée de Tervuren
Chateau Madou
Chaussée de Wavre
Arrêt du tram à la Place Communale
Auderghem en 1909
Chaussée de Wavre
Estaminet Vanpé
Auderghem vers 1900
Chaussée de Wavre
Pont du chemin de fer (ligne Bruxelles-Tervuren)
Auderghem (vers 1905)
Chaussée de Wavre
Chaussée de Wavre au Loozenberg (aujourd'hui Bergoge, ou Bergoje)
Croisement de la chaussée de Wavre et de la rue de la Chasse Royale
Chaussée de Wavre vers boulevard du Souverain, en direction d'Etterbeek
Auderghem
Chaussée de Wavre
Le Crédit Anversois
Auderghem
La chaussée de Wavre
Auderghem
Chaussée de Wavre
Estaminet "Chez Emile"
Auderghem vers 1900
Croisement chaussée de Wavre et boulevard du Souverain
Auderghem
Chaussée de Wavre, entre la rue Idiers et le boulevard du Souverain
Maison communale
Auderghem
Chaussée de Wavre, entre la rue Idiers et le boulevard du Souverain
Maison communale
Chaussée de Wavre, entre la rue Idiers et le boulevard du Souverain
Maison communale
Auderghem
Chaussée de Wavre
Sanatorium Prince Léopold
Chaussée de Wavre, à la rue Idiers
Restaurant "Au Prince Charles"
Auderghem
Rue J. Van Bassem
Restaurant au Vieux-Bruxelles
Auderghem
Chaussée de Wavre
La gendarmerie nationale
Auderghem
Avenue Val-Duchesse
Chapelle Saint-Anne
Carrefour Sainte-Anne
Chapelle Sainte-Anne
Chapelle Sainte-Anne
Auderghem en 1903
Chapelle St-Roch (Chapelle Ste-Anne)
Auderghem
Chapelle Sainte-Anne
Auderghem
Chapelle Sainte-Anne avant sa restauration
Auderghem
Chapelle Sainte-Anne
Intérieur
Avenue Joseph Chaudron
Château Chaudron
Auderghem
Avenue Charles Schaller
Château de la Solitude
Auderghem
Rue Putdael
Auderghem
Boulevard du Souverain
Le Casino et le restaurant René
Drève du Prieuré
Auderghem
Drève du Prieuré
Villa Schoutenhof
Avenue de la Sablière
Ecole primaire
Eglise Sainte-Anne
Quartier du Schietheyde
Rue des Trois Ponts (coin de l'actuel square J.B. Degreef)
Estaminet "Au Chasseur Vert"
Rue de la Chasse Royale
Etablissements Madoux-Brassine
Place Félix Govaert
La gare d'Auderghem, détruite en 1972
La voie ferrée, désaffectée, est devenue la très fréquentée Promenade du Chemin de Fer,
elle-même tronçon de la Promenade Verte aménagée entre Auderghem et Woluwé-Saint-Pierre
Auderghem
Rue Edmond Cordier
Le château Val Duc
Auderghem
Rue Edmond Cordier
Le château Val Duc
Les blanchisseuses de la rue de la Vignette
Les Trois Tilleuls
Boulevard du Souverain
Luxor Tennis Club
Rue du Bocq
Monument des Eaux et fontaine amenant l'eau... du Bocq
Panorama de la commune
Place Félix Govaert
Pensionnat d'Hauwer
(La maison mauresque)
Place Félix Govaert
Pensionnat d'Hauwer
(La maison mauresque)
Auderghem en 1910
Place Félix Govaert
"La Maison des Enfants" (pensionnat puis orphelinat)
Maison de style mauresque bâtie vers 1880Avenue des Meuniers
Quartier Mélati
Rond-point du Souverain
Auderghem en 1902
Le Rouge-Cloître
Grand Hôtel
Auderghem vers 1900
Le Rouge-Cloître
Le Grand Etang et la cartoucherie Marga
Le Rouge-Cloître
La laiterie Mignolet
Le Rouge-Cloître
Le château (démoli en 1961)
Auderghem vers 1900
La ferme du Rouge-Cloître
Auderghem vers 1905
Le Rouge-Cloître
Source de l'Empereur
Auderghem
Le Rouge-Cloître
L'ancienne abbaye
Le Rouge-Cloître
Le vieux pont de la laiterie du Rouge-Cloître
Rue du Chant-d'Oiseaux
Coin de la rue Demuylder et de la rue des Paysagistes
Rue Willame
Ex rue du Docteur
Square J.B. Degreef
Square Van Lindt
Plaine de jeux de la cité-jardin
Le tram 25
Clos du Bergoje
Villa de la Bruyère
Avenue Jules Genicot
Villa Jenniko
Auderghem
Sentier Mélati
Villa Mélati
Chaussée de Wavre
Villa Valduc
Auderghem en 1916
Rond-point de l'avenue du Souverain
Le tram 25
Auderghem en 1909
Terrain au bas de l'actuelle rue Vanden Thoren
Envol, le 28 juin 1909, du "Belgique", premier dirigeable belge,
mis au point par l'ingénieur Robert Goldschmidt
Rue Vanden Thoren
Le dirigeable "Belgique"
Auderghem
Chaussée de Wavre
Estaminet Glaert
Auderghem en 1922
Vue de la cité-jardin
Maison Windey-Dumont
"Volailles et Gibiers"
Promenade vers le Château de la Solitude
Place Communale
Boulangerie Depuydt-Lebon
Route de Putdael
Rue des Ecoliers
Les écoles communales
Auderghem en 1936
Rue Emile Rotiers
Les nouvelles écoles
Auderghem
Val Duchesse
Le béguinage
Auderghem
Val Duchesse
Le château
Auderghem
Val Duchesse
Le jardin français
Auderghem
Val Duchesse
Le chalet norvégien
Auderghem
Val Duchesse
Le château
Château de Val Duchesse
Auderghem
Entrée du Château Val Duchesse
Auderghem
Rue du Vieux Moulin
Château Waucquez (démoli en 1910)
Auderghem
Rue du Vieux Moulin
Nouveau château Waucquez (1911)
Rebaptisé Château Sainte-Anne
Auderghem
Avenue de l'Eglise Saint-Julien
Ancienne église Saint-Julien
Auderghem
Rue Emile Steeno
La Woluwe, autrefois à ciel ouvert
Auderghem
Avenue de la Gare (1906)
Auderghem
Chapelle Sainte-Anne
Auderghem
Le berger et ses moutons sur la Drève du Rouge-Cloître
Auderghem
Artiste aux étangs du Rouge-Cloître (1890)
Auderghem
Rue du Vieux Moulin (1895)
Auderghem en 1916
Carrefour Léonard
ET DE NOS JOURS...
Auderghem a changé... Mais il existe encore quelques rares endroits dans cette commune où rien ne change. Au détour d'une rue, on remonte subitement cent ans en arrière...
A une dizaine de mètres de la chaussée de Wavre, entre la place communale et l'autoroute, dans le quartier du Bergoje (jadis Loozenberg), les "ruelles sans noms" sont encore un village dans la ville...
Et un peu plus loin, la rue de la Pente et la rue du Verger nous offrent toujours leurs perspectives du passé...
Enfin, le Rouge-Cloître, son abbaye, sa ferme, ses écuries, a été rénové et remis dans son contexte d'époque...
(Photos Charles Saint-André - 2012)
*
HISTOIRE DES ENVIRONS DE BRUXELLES
Par Alphonse Wauters, 1855
« AUDERGHEM »
CHAPITRE II (Tome III)
Auderghem. — L'espace triangulaire compris entre le ruisseau de Watermael et la Woluwe était primitivement inculte et inhabité, comme on peut en juger par les noms que le sol y porte encore : de Beerenheyde, la bruyère aux Ours; het Lammerendries, le trieu des Agneaux; den Slangenbosch, le bois des Serpents. Un coup d'oeil jeté sur une carte suffira pour montrer combien peu d'importance Auderghem devait avoir autrefois, pressé comme il l'était, au nord, par le bois de Melsdal, à l'est, par la forêt. Cependant, son nom semble témoigner en faveur de son ancienneté. Auderghem ou, comme on disait autrefois, Oudrenghem, signifie littéralement l'ancienne habitation. Cependant, l'histoire n'en avait pas encore parlé lorsque la duchesse de Brabant, Aleyde de Bourgogne, veuve du duc Henri III, y fonda, sous l'invocation de la Trinité, le plus ancien couvent de Dominicaines que la Belgique ait possédé.
Cette princesse partageait l'affection de son mari pour l'institut créé par saint Dominique. Pendant sa régence, qui fut très-courte et très-orageuse, elle eut souvent recours à un homme qui jetait alors sur l'ordre un brillant reflet de gloire, nous voulons parler de saint Thomas d'Aquin, l’Ange de l'école, comme on le surnommait alors. Ce savant casuiste ne fut peut-être pas étranger à l'établissement du couvent d'Auderghem, qui prit, en mémoire de sa fondatrice, le nom de Val-Duchesse (S'Hertoginne dael, Vallis ducissae). Aleyde le combla de bienfaits et ordonna qu'après sa mort on y déposât son cœur.
Adélaïde de Bourgogne
Dite Aleyde ou Alix, duchesse de Brabant
1233-1273
Cette princesse partageait l'affection de son mari pour l'institut créé par saint Dominique. Pendant sa régence, qui fut très-courte et très-orageuse, elle eut souvent recours à un homme qui jetait alors sur l'ordre un brillant reflet de gloire, nous voulons parler de saint Thomas d'Aquin, l’Ange de l'école, comme on le surnommait alors. Ce savant casuiste ne fut peut-être pas étranger à l'établissement du couvent d'Auderghem, qui prit, en mémoire de sa fondatrice, le nom de Val-Duchesse (S'Hertoginne dael, Vallis ducissae). Aleyde le combla de bienfaits et ordonna qu'après sa mort on y déposât son cœur.
Saint Thomas d’Aquin, le docteur angélique
Retable de Carlo Crivelli (1494)
En quelques années, les Dominicaines acquirent le patronat des églises de Watermael, d'Eckeren et d'Orthen. Celle d'Eckeren leur fut donnée, en 1270, par Félicité, dame d'Hoboken, et son fils Henri, et, l'année suivante, par le chapitre de Malines, qui prétendait y avoir quelques droits. Quant à la cure d'Orthen, elle ne leur resta que pendant un siècle environ, un chapitre de chanoines ayant été créé, en 1366, dans son ressort, dans l'église de Saint-Jean l'Evangéliste, à Bois-le-Duc. Le 8 janvier 1296, le pape Boniface VIII permit à la communauté de revêtir de l'habit de Saint-Dominique des prêtres et des clercs, de leur conférer, sauf approbation de l'autorité diocésaine, les cures citées plus haut, de les rappeler au couvent et de les remplacer. Ce privilège exorbitant fut aboli par le concile de Trente; depuis, on n'admit plus aux fonctions presbytérales d'autres religieux que les Prémontrés, les Bénédictins, les Cisterciens et les Chanoines réguliers; la cure de Watermael, entre autres, dut appartenir au clergé séculier, comme le décida le conseil de Brabant, en 1730, à la suite d'une contestation qui s'était élevée «entre l'université de Louvain et le couvent". Une bulle du pape Grégoire X, datée du 31 mars 1271, avait confirmé aux religieuses de Val-Duchesse leurs biens et leurs immunités.
Peu de temps après son avènement au trône, Jean Ier maintint les religieuses dans la possession de leurs biens, qu'il exempta « de toute taille, chiénage, expédition et cens, ainsi que de l'obligation de recevoir ses chasseurs, les chiens de sa vénerie, etc. » (charte en date de la fête des saints Pierre et Paul, en 1280). Le 20 juillet 1444, le duc Philippe le Bon, et, le 25 août 1467, son fils, Charles le Téméraire, déclarèrent que les personnes dont la naissance était légitime seraient seules admissibles dans la corporation. Ils donnaient ainsi à connaître, ajoute le chroniqueur auquel nous empruntons ces détails, combien ils haïssaient le péché de la chair; la réflexion, pour ce qui concerne le duc Philippe, est très-naïve; nous pourrions même nous servir d'un terme beaucoup plus significatif. Dans le principe, les prieures étaient nommées à vie; en 1607, conformément aux statuts de l'ordre, il fut décidé que dorénavant elles ne resteraient en fonctions que trois ans.
Auderghem
Val Duchesse
Le prieuré en 1693
Le couvent se ressentit cruellement des troubles du seizième siècle; à en juger par la manière dont il fut traité, on doit croire que les religieuses s'étaient attiré la haine de leurs voisins. Dans la nuit du 20 février 1562-1563, une bande de méchants paysans, « qui, depuis longtemps avaient menacé d'en venir là », dit le chroniqueur bruxellois Potter, se réunit dans la forêt, tua un messier qui était accouru au bruit, et abattit des arbres, afin d'enfoncer la porte d'entrée. Puis, sans que rien annonçât son approche, elle arriva entre dix et onze heures, devant le couvent, qui fut bientôt forcé. Les assaillants bâillonnèrent le portier et pénétrèrent dans la cour. Au moment où la communauté se levait, ils allaient pénétrer dans le cloître; la prieure, Anne Hinckaert, leur offrit en vain de l'argent s'ils voulaient se retirer. Accablées de railleries et de menaces, craignant d'être les victimes de la fureur des émeutiers, elle et ses compagnes se réfugièrent dans le nouveau dortoir, dont les murs étaient construits avec une grande solidité et dont elles barricadèrent l'entrée. Les assaillants coururent alors à l'église, où ils arrachèrent du tabernacle le Saint-Sacrement qu'ils foulèrent aux pieds, abattirent les statues, déchirèrent les tableaux, et mirent enfin le feu à l'édifice. Les deux tiers du cloître, la cuisine, le réfectoire, l'infirmerie, trente-neuf cellules furent consumés par les flammes. Les religieuses, prosternées devant l'autel du dortoir, attendaient la mort. Tout à coup la corde de la cloche d'alarme, qu'elles n'avaient cessé d'agiter, se rompit; elles se crurent alors à leur dernière heure. Ce fut, au contraire, cette circonstance qui les sauva; les pillards crurent que des secours arrivaient, et s'enfuirent en toute hâte. Il était temps ; les veilleurs placés sur les tours de Bruxelles avaient aperçu le reflet de l'incendie, et, guidée par leurs indications, une troupe armée s'avançait vers Auderghem.
Aucune des soixante religieuses n'eut à essuyer de mauvais traitements, mais la communauté fut presque ruinée. Tout le mobilier était brisé, et les provisions gâtées; les pertes furent évaluées à 100,000 florins, chiffre dans lequel figuraient des livres d'église pour une somme de 3,000 florins. Le magistral de Bruxelles promit une récompense de 400 florins à ceux qui dénonceraient les auteurs de cet attentat, et, de plus, assura l'impunité à ceux d'entre les coupables qui dénonceraient leurs complices (21 février 1562-1563). Au mois d'avril suivant, on amena dans cette ville un individu nommé Etienne d'Abbeville ou Etienne Jacqué, qui avait longtemps été capitaine d'une troupe d'Égyptiens; deux individus arrêtés à Berchem, près d'Audenarde, l'accusèrent d'avoir participé au pillage du couvent; il avoua d'abord, probablement à la suite de la torture, puis il nia le fait à plusieurs reprises. Le 12 juin il fut brûlé vif, sur le marché.
Le 22 mars 1564-1565, le gouvernement donna 100 livres pour réparer l'église et pour y placer une fenêtre ornée de la représentation du roi et de ses armoiries; en 1570, le temple fut dédié par Ghislain De Vroede, évêque de Salubrie. Mais bientôt de nouveaux malheurs frappèrent le couvent. Déjà, en 1566, l'horizon politique du pays devenant de plus en plus sombre, les Dominicaines s'étaient réfugiées à Bruxelles; en 1578, elles durent fuir de nouveau. Elles revinrent vers l'année 1585; le 19 avril 1586, on les autorisa à vendre ou hypothéquer des biens, jusqu'à concurrence de 3,000 florins, et, le 14 février 1596, on leur permit d'établir à Bruxelles, chez Hans Gabion et Henri Rayais, une loterie d'objets de cuir doré, de clavecins, de literies, de beaux instruments de musique, de meubles de bois, d'ouvrages de cuivre et d'autres merceries de prix, jusqu'à concurrence de 13,437 florins.
Grâce à ces expédients, grâce aussi à la ferveur religieuse qui distingua cette époque, le couvent sortit de ses ruines. Pendant le dix-septième siècle, il eut plusieurs directeurs ou confesseurs de mérite, entre autres, les pères Vincent Hensberch et Henri Seelliers. Le premier, qui naquit à Jodoigne, et qui mourut à Anvers le 4 juillet 1634, a publié différents ouvrages mystiques; au second, qui mourut à Bruxelles en 1667, on doit l'opuscule intitulé : Beschryvinge van de fondatie en de ghelegentheydt van het clooster van de H.H. Drivuldigheyt, ghenaemt S'Hertoginne dael by Auderghem (Histoire abrégée de la fondation de la Sainte Trinité dite le Val-Duchesse d'Auderghem), qui fut écrit à l'occasion du quatre-centième anniversaire de la fondation du couvent et publié à Bruxelles, en 1662.
Le couvent était bâti dans la situation la plus agréable, sur un coteau dont le pied est baigné par un étang de 5 hectares 77 ares de superficie, et où les carpes, suivant l'opinion générale, ont une chair plus savoureuse que dans les étangs voisins. Le mur de clôture, qui existe encore, comprend environ neuf bonniers. Les principaux bâtiments, avant leur reconstruction au siècle dernier, formaient un carré; l'église en occupait le côté oriental, et se divisait en deux parties : l'une réservée aux religieuses, l'autre ouverte à tous. Dans le chœur se trouvait un autel en marbre dédié à la Sainte-Trinité ; deux autres autels, consacrés à la Vierge et à sainte Geneviève, décoraient une chapelle latérale, que la communauté devait à la libéralité de la ville d'Anvers. De grandes et belles peintures, représentant les Mystères du Rosaire, ornaient l'église des religieuses (de kerke van de jouffrouwen). On gardait dans cet édifice une épine détachée de la couronne qui servit, dit-on, à la passion du Sauveur; saintVincent-Ferrier l'avait obtenue pour la communauté, d'un roi de France. L'incendie de 1563 détruisit les tombes de plusieurs personnages remarquables et, entre autres, celle du père Pierre Wellens, qui, après avoir été provincial des Dominicains aux Pays-Bas, se retira à Val-Duchesse, où il mourut le 15 juin 1469; le père Jean Nys, qui était confesseur du couvent en l'an 1617, rétablit cette sépulture. Le sceau de la communauté représentait une religieuse agenouillée devant la Vierge tenant l'enfant Jésus; la légende portait : s. Priorisse Sororum Sallis Ducisse Ordinis Praedicat.
Le gouvernement autrichien supprima le couvent en 1784; il se rouvrit en 1790, et fut de nouveau fermé au mois de frimaire an V. La république française en vendit les bâtiments pour quelques milliers de francs. Ils appartiennent actuellement à M. Amour De Cartier, qui a été bourgmestre de la commune après M. Verhaegen. Le moulin voisin, que Jean Ier donna au couvent en 1280, sert à moudre du grain, après avoir longtemps activé une papeterie; une teinturerie, celle de M. Idiers, se trouve non loin de là.
A l'est du couvent, sur une hauteur d'où l'on découvre un très-beau paysage, s'élève l'ancienne chapelle Sainte-Anne, qui a été remplacée, comme église d'Auderghem, par un édifice sans caractère, bâti près de la chaussée de Tervueren, en 1843-1844. Jadis, un grand nombre de pèlerins allaient invoquer la patronne de cet oratoire; les femmes lui demandaient le bonheur d'être mères; les malheureux atteints d'affections aux mains, aux bras et aux pieds, y sollicitaient du ciel leur guérison.
Sainte Anne, la Vierge et l'Enfant
Leonardo da Vinci
La tradition reconnaissait à ce petit édifice, qui est aujourd'hui converti en habitation, une antiquité supérieure à celle du couvent; en effet, dès l'année 1251, Auderghem avait un oratoire, et, huit ans après, recevait déjà la qualification de paroisse. La petite tour placée en tête de la nef appartient peut-être à celle époque: l'appareil en est irrégulier, des contreforts en renforcent les angles, et des baies cintrées en éclairent la partie supérieure. A l'intérieur, la voûte de la tour s'ouvre du côté de la nef en formant un cintre. Un peu plus loin, on remarque d'anciens modillons, qui soutenaient jadis le plafond de la nef; celle-ci a été rebâtie, ainsi que l'indiquent son ornementation et les briques dont se compose le haut de ses murailles; elle ne reçoit le jour que du côté de l'est, par deux fenêtres en ogive. L'abside est polygonale et à baies également ogivales. Les voûtes de la nef et de l'abside sont sillonnées de nervures de bois, dont les intersections sont historiées. Sur l'escalier qui conduit à la chapelle, on remarque la date 1667. Le principal des trois autels de la chapelle d'Auderghem était orné de figures sculptées, «d'une manière très-ancienne et très-étrange. » En 1844, le curé d'Auderghem, à l'insu du conseil de fabrique, vendit cet objet d'art au prince Soltikoff, pour 1,200 francs. La vente fut attaquée, comme étant de nulle valeur, par-devant le tribunal civil de Bruxelles. Mais il était trop tard; le prince fit défaut, et le retable avait disparu. Aucun incident curieux ne se rattache à l'histoire du village d'Auderghem, si ce n'est l'épisode de cet aventurier qui, du temps des archiducs Albert et Isabelle, promit de marcher sur l'eau, dans le grand étang, et ne parut pas au jour fixé, bien qu'il eût reçu l'argent des milliers de curieux que ses annonces avaient attirés . Le hameau a grandi depuis la construction de la route de Bruxelles à Tervueren, et de celle d'Auderghem à Wavre. Cette dernière s'arrêtait à Notre-Dame-au-Bois, lorsque la gouvernante des Pays-Bas, Marie-Élisabeth, déclara que la voiture du prieur de Rouge-Cloître, le cheval de selle du procureur de ce couvent et les voitures chargées de provisions de bouche pour la communauté n'étaient pas assujettis au droit de barrière levé par le domaine à Auderghem (29 novembre 1730). De nos jours, on a relié Auderghem et Boitsfort par un pavé dont la construction fut adjugée une première fois en vertu d'un arrêté royal daté du 11 mai 1835, et donnée de nouveau en entreprise, avec plus de succès, en 1844. Au siècle dernier, il existait plusieurs carrières à Auderghem; de nos jours, c'est principalement l'abatage et la vente du bois, ainsi que le travail dans quelques fabriques, qui y procurent de l'ouvrage à la population. Entre autres maisons de campagne, on y remarque celle du dernier ministre des affaires étrangères, M. Henri De Brouckère, et, un peu au-delà, la belle villa bâtie, du temps du gouvernement hollandais, par M. Reiss, aujourd'hui appartenant à M. Van Humbeek, banquier et conseiller communal à Bruxelles.
En regard de cette dernière, à l'est du point d'intersection des routes de Tervueren et de Wavre et de la Schietheyde ou Bruyère au tir, sur laquelle on a construit, en 1843-1844, la nouvelle église d'Auderghem, on aperçoit un vallon profondément encaissé et dont le milieu est occupé par un bel étang entouré d'arbres. C'est l'entrée du ravissant vallon de Rouge-Cloître, l'une des plus charmantes retraites que se soient créées les anciennes communautés religieuses.
La vallée de Rouge-Cloitre est riche en fossiles et surtout en débris coquilliers. Il y a soixante ans, on y exploitait un banc, aujourd'hui abandonné, de calcaire et de marne. Ce banc avait, à l'air, environ dix à douze toises de hauteur, et offrait jusqu'à six couches superposées de grès calcarifères, que l'on réduisait en chaux dans un four situé à proximité. Une infinité d'hirondelles et de moineaux s'y étaient logés et avaient percé un grand nombre de petits trous dans la partie la plus molle du calcaire. Ils lui donnaient, par leurs allées et leurs venues, un aspect singulièrement animé . L'ouverture de cette carrière remontait à l'année 1400 environ (de 1396 à 1405), et ce fut de là que l'on tira les matériaux qui servirent à la construction du couvent.
Auderghem
Le Rouge-Cloître en 1725
ROUGE-CLOITRE — Vers le milieu du quatorzième siècle, il existait dans la partie supérieure du vallon, à quelque distance de la source appelée de Steenborre, un ermitage auquel l'on donnait le nom d'ermitage du Seigneur de Witthem (T'Sheere cluyse van Wytham). Sous le règne de la duchesse Jeanne, un solitaire, nommé Gilles Oliviers, habitait, plus en aval, le lieu appelé de Bruxken cluse (l'ermitage du Petit-pont), à l'entrée du vallon où s'éleva depuis le prieuré de Rouge-Cloitre. Il y recevait souvent la visite d'un chapelain de l'église collégiale de Bruxelles, maître Guillaume Daneels de Boondael, que ses exhortations réitérées déterminèrent enfin à venir partager sa retraite; mais, comme celle-ci était située dans un lieu trop bas et trop marécageux, ils cherchèrent un emplacement plus convenable. L'endroit connu sous la dénomination de beneden den Clabots borre (plus bas que la source de Clabots), leur parut réunir toutes les conditions désirables. De concert avec un laïque, Walter Vandermolen, ils en demandèrent la cession à la duchesse Jeanne, qui la leur accorda, le 1er mars 1366-1367, à la condition de célébrer tous les ans une messe, le jour de la Saint-Jean-Baptiste. La duchesse promit que jamais ce bien ne leur serait enlevé ou ne serait employé à d'autres usages.
Le nouveau monastère fut construit en bois, en 1368. Il prit le nom de Roode Cluse (l'Ermitage rouge, 1373), puis de Rouge-Cloître (Roeden Clooster, 1376; Roo-Clooster, en latin, Rubea Vallis, la Vallée rouge), parce que ses parois furent couvertes d'un ciment rouge fait de tuiles brisées, qui devait les protéger contre la pluie. Il se composait, entre autres bâtiments, de neuf cellules et d'une petite chapelle. La veille de la Saint-Jean à la fin d'août, en 1369, Jacques, évêque de Croatie, suffragant de Cambrai, consacra cette dernière, en l'honneur de saint Paul, en vertu d'un ordre des vicaires généraux de l'évêché, daté du 14 du même mois, et avec l'autorisation de la prieure d'Auderghem. La cloche que l'on plaça dans le clocher de cette chapelle ne pesait que seize livres.
La nouvelle fondation avait à la cour ducale de puissants protecteurs; aussi s'agrandit-elle bientôt. Le 18 janvier 1373-1374, Jean T'Serclaes, archidiacre de Cambrai, mandataire de l'évêque Gérard, érigea le couvent en un prieuré de l'ordre des chanoines réguliers de Saint-Augustin, sous le vocable de Saint-Paul en Soigne, S. Pauli in Zonia, et il revêtit la communauté de l'habit religieux. Elle se composait alors de trois prêtres: Daneels, qui, le même jour, fut élevé à la dignité de prieur, Henri de Augulo ou Vandenhoricke, et Henri Wisse, et d'un convers, Walter de Dielbeke. Gilles Oliviers était déjà mort ; Daneels le suivit dans la tombe, en 1392. La duchesse Jeanne se montra constamment la protectrice du couvent, dont elle ne cessa d'augmenter les possessions. Le 10 février 1369-1370, elle ajouta à l'ermitage (clusestat), dont il se composait primitivement, une aunaie contiguë, et qui était longée, de l'autre côté, par le sentier suivant le pied de la hauteur et conduisant à la Clabots borre. Le 26 novembre 1373, de concert avec son époux, elle céda aux religieux deux autres aunaies, dont l'une, d'une étendue de 1 bonnier 50 verges, s'étendait vers l'aval jusqu'à l'étang domanial dit Bruxkens viver (l'étang du Petit pont), et dont l'autre, qui comprenait 5 bonniers 1 journal, allait vers l'amont jusqu'au Clabots viver. Cette dernière pièce d'eau devint aussi la propriété des moines, sire Jean Vandenbisdomme, qui la tenait en fief du duché de Brabant, y ayant renoncé en leur faveur, vers la Saint-Bavon de l'année 1376, en présence du duc, de la duchesse et de quelques-uns de leurs vassaux; Wenceslas et Jeanne, en approuvant cette cession, y ajoutèrent deux extrémités d'aunaies adjacentes et promirent de faire aborner tout ce que possédait le monastère, qu'ils grevèrent alors d'un cens d'un denier (16 novembre 1376). C'est aussi à Vandenbisdomme que Rouge-Cloître dut un bois situé du côté du sud et que ses religieux défrichèrent. Enfin, Jeanne compléta leur établissement en leur donnant le bel étang de Ten-Bruxkens et un petit terrain vague (driesschelken) voisin; elle leur permit de construire dans ces lieux un moulin à eau, qui fut élevé à l'endroit où les eaux de l'étang en sortent et qui active aujourd'hui une filature de coton. Après leur avoir imposé l'obligation de payer pour cette concession 500 carpes, par an (15 juin 1397), la duchesse y renonça, l'année suivante.
Jeanne de Brabant
1322-1406
Jeanne ordonna à plusieurs reprises de faire aborner les dépendances du couvent, et plus d'une fois elle saisit cette occasion pour les agrandir (15 juillet 1389, 15 janvier 1391-1392, etc.). Ses nombreux diplômes en faveur de Rouge-Cloître furent confirmés par ses successeurs: Antoine de Bourgogne, le 31 août 1415; Jean IV, le 6 décembre 1418 et le 20 septembre 1424 ; Philippe de Saint-Pol, le 4 janvier 1427-1428; Philippe le Bon, le 5 juin 1431, et Marie et Maximilien, en 1478. Le 12 août 1387, elle autorisa le couvent à faire pâturer dans la forêt 12 vaches, auxquelles on ajouta, le 17 juillet 1393, 12 autres vaches, 60 porcs et 100 moutons, et, en 1431, un taureau et un verrat. Le 26 avril 1395, on déclara les religieux et leurs biens exempts de tous impôts, dons, repas d'officiers, taxations, etc., ainsi que de l'obligation de loger, soit la duchesse elle-même, soit quelqu'un de sa suite, soit les chiens de sa vénerie; le 1er mai suivant, la duchesse autorisa ses sujets à leur donner ou à leur vendre leurs biens, et permit au couvent de nommer un preter ou sergent.
L'édifice qui avait servi jusque-là d'oratoire parut bientôt trop modeste. On se hâta d'en élever un plus imposant. Le 31 mai 1381, on posa la première pierre d'une église conventuelle, en présence de maître Adam, architecte de la duchesse, de maître Jean Boydens, charpentier, et d'Arnoul de Cobbeghem, le futur maçon du couvent. Le prieur célébra d'abord la messe de la Sainte-Croix ; puis, dépouillant sa chasuble devant le maître-autel, il se montra vêtu seulement de l'aube. La communauté fléchit les genoux et entonna le Veni Sancte Spiritus. Ensuite, elle sortit processionnellement du chœur, précédée de la croix, et en entonnant le Regina Cœli. Arrivée à l'endroit désigné pour la construction nouvelle, elle en fit le tour, en continuant ses chants religieux par le O crux splendidior. Parvenu à l'occident du temple nouveau, le prieur dit quelques collectes, et, prenant la croix, fit sur la terre le signe symbolique du chrétien, le signe qui rappelle l'instrument de la Passion. Lui, tous les autres religieux, par âge, et enfin les laïques présents, creusèrent successivement la terre. Le prieur ayant de nouveau dit quelques collectes, la communauté retourna à la chapelle, en chantant l'antienne: De omnibus sanctis gaudetur in Coelis. Dans l'entretemps, Adam, Boydens et les ouvriers creusèrent des trous de six pieds de long sur quatre de large, à dix pieds environ de distance l'un de l'autre; dans chacun de ces trous, ils enfoncèrent, au moyen d'un instrument appelé scotheye, 16 pieux de bois; ces différents groupes de pieux furent reliés l'un à l'autre par des sommiers de hêtre; c'est ce que l'on appelait le lien (loramenturn) de l'église. Sur ce fondement on construisit des arcades de pierre, d'environ cinq pieds d'épaisseur, et sur ces arcades s'élevèrent les murs de l'église.
Daneels ignorait que dans son voisinage le sol recelait des richesses; il fit exploiter une carrière située en aval du donjon de Trois-Fontaines, dont nous aurons bientôt occasion de parler, et il fit convertir en chaux les pierres qui en provinrent; en outre, 36,000 briques furent cuites par ses ordres en 1381, et 100,000 en 1383. La construction de l'église marcha avec rapidité; un des amis des religieux, Jean T'Serclaes, qui était alors évêque de Cambrai, la consacra le 26 février 1383-1384. A cette époque, de longs débats surgirent au sujet du droit de patronat sur l'église du prieuré et de la dîme des terres appartenant au couvent. Les religieuses de Val-Duchesse réclamaient en produisant une bulle papale, qui défendait d'élever aucun monastère dans un rayon d'un mille a l'entour de leur habitation conventuelle; enfin, en 1402, Rouge-Cloître consentit à payer à Val-Duchesse 10 florins de cens, comme rachat de la dîme de ses terres, et d'un autre côté, le 16 décembre 1406, la communauté obtint de l'évêque l'érection de son église en temple paroissial, mais seulement pour les moines et pour leurs serviteurs.
Le modeste prieuré de Rouge-Cloître n'a pas d'annales bien intéressantes; il joua cependant un rôle remarquable. Les religieux cultivèrent avec ardeur, non seulement les études théologiques, mais aussi les sciences historiques. Le père Jean Gillemans, qui mourut en 1487, forma deux recueils considérables en plusieurs volumes in-folio; ils contenaient la vie, l'un, des saints qui ont illustré le monde; l'autre, des saints du Brabant. Ce dernier avait une grande importance pour notre ancienne histoire, car il contenait une foule de légendes curieuses; malheureusement on ne sait ce qu'il est devenu. Gilles De Wilde, qui vivait vers le même temps, écrivit des généalogies; d'autres s'adonnèrent à la calligraphie, aux enluminures. Le couvent se forma une bibliothèque considérable, où l'on comptait déjà, au quinzième siècle, trente manuscrits écrits en flamand ; les Bénédictins Martène et Durand y trouvèrent beaucoup de documents intéressants, qui depuis enrichirent la bibliothèque publique de Bruxelles.
Pendant les guerres des années 1488 et 1489, les couvents de Groenendael et de Rouge-Cloître eurent énormément à souffrir. Les pertes de la première de ces maisons religieuses s'élevèrent à 400 couronnes; dans la seconde, les religieux prirent le parti de quitter Bruxelles. Laissant à quelques-uns d'entre eux le soin de veiller sur leurs biens, ils se rendirent en Hollande, où ils se dispersèrent dans différentes maisons de leur ordre, avec l'autorisation de leurs supérieurs.
Au quinzième et au seizième siècles, de grands travaux donnèrent une nouvelle splendeur à la fondation de Guillaume Daneels. Le prieur Gog (1430-1434), qui était très-habile architecte, fit bâtir trois des ailes du cloître; on éleva ensuite la maison du chapitre, où, en 1464, l'évêque de Dania dédia l'autel. En 1512, on commença à reconstruire le chœur de l'église, pour lequel le jeune Charles d'Autriche donna 23 livres à la communauté (24 janvier 1513-1514); il fut achevé en 1520, et la famille royale et les principaux courtisans s'empressèrent de l'orner. Charles-Quint, son frère Ferdinand, Philibert de Savoie, le duc de Clèves, Philippe de Ravestein, Henri de Nassau, l'évêque Érard de La Marck, Guillaume de Croy, archevêque deToIède, le comte d'Egmont, Jean de Berghes et son fils Antoine y firent chacun placer un vitrail. Celui que donna l'empereur représentait le Crucifiement; les Comptes de l’hôtel, de l'année 1527, attestent qu'il fut payé 60 livres à Jean Ofhuns, verrier résidant à Bruxelles. Charles-Quint en fit faire un autre, orné de ses armes, pour le chef-lieu ou chevet du chœur, et donna à cet effet 100 livres (24 février 1524-1525). Antoine de Walhain ne borna pas ses libéralités à une offrande pareille; il gratifia les religieux d'une riche remontrance d'argent et de 100,000 ardoises; lorsqu'il mourut, en 1532, il voulut que ses entrailles fussent déposées dans le chœur de l'église de Rouge-Cloitre. De magnifiques stalles furent alors sculptées pour les religieux. Quelques années après on éleva, à côté du cloître, le nouveau réfectoire, la cuisine et la maison des étrangers, et, en 1555, le couvent fit bâtir le corps de logis que l'on appela la maison de Savoie, parce qu'un duc de Savoie fut le premier qui y logea; cet édifice, que les ennemis n'incendièrent jamais, avait 500 pieds de long et était orné de vitraux peints.
En 1551, les chapelains de l'église de Sainte-Gudule instituèrent à Rouge-Cloître la confrérie du Saint-Sauveur, qui se composait de douze d'entre eux; ils rappelaient les Apôtres et reconnaissaient pour chef le prieur du couvent; tous les ans, ils venaient prier et diner au couvent. Après les troubles du seizième siècle, pendant lesquels le couvent fut livré à la dévastation, les religieux habitèrent Bruxelles, où ils trouvèrent un protecteur dans le comte de Mansfeld, qui fut deux fois gouverneur par intérim des Pays-Bas. Le 23 novembre 1594, on leur permit de vendre quelques propriétés, afin de payer leurs dettes et de relever leur monastère, où ils retournèrent vers l'an 1600. La munificence des archiducs leur facilita cette tâche; ces princes venaient deux fois par an assister à leurs offices. Ils donnèrent au couvent des ornements d'autel dont la valeur dépassait 7,000 florins, et firent restaurer à leurs frais, en 1609, les beaux vitraux du chœur.
L'abbaye du Rouge-Cloître en 1606
Les œuvres de la grande école d'Anvers, qui atteignait alors son apogée, vinrent combler les vides que les guerres civiles avaient faits dans les collections artistiques de la communauté. Rubens peignit pour le maître-autel de l'église le Martyre de saint Paul. Le réfectoire, dont les fenêtres furent garnies de vitraux peints, s'orna de quinze toiles; les huit premières représentaient le Bon Pasteur, saint Augustin et six évêques appartenant à l'ordre des chanoines réguliers; les sept autres étaient sept grands et beaux paysages: un de Van Heil, deux de Vandevenne et quatre de Van Artois. « On sait, dit le catalogue des objets d'art que le gouvernement autrichien fit vendre en 1785, que Van Artois a passé plusieurs années de sa vie à Rouge-Cloître; c'est à l'entour de ce couvent qu'il a étudié la nature, et on reconnaît dans ses compositions différents sites qu'il saisissait heureusement et savait embellir. Le sombre imposant des forêts se retrace dans ses toiles; on distingue les différentes espèces d'arbres et leur feuillage varié. Il se plaisait aussi à peindre les belles pièces d'eau qui ornent la forêt; il tirait parti de tout, même d'une terrasse de sable : elle lui servait de fond pour étager une foule de plantes agrestes, distribuées avec autant de goût que de légèreté. Ses beaux paysages se distinguent par des lointains et un ciel très-agréable et très-léger. » Anciennement, un autre peintre était venu demander à la vallée de Rouge-Cloître des heures de repos et des inspirations. Le Gantois Hugues Vandergoes, l'un des meilleurs élèves de l'école des Van Eyck, prit l'habit religieux dans le couvent, au temps de Maximilien d'Autriche, y mourut et y reçut la sépulture.
Etude pour un Christ mort, étendu sur le dos
Hugo van der Goes
En 1643, on posa, dans la tour de l'église, une horloge et un carillon; ce dernier était composé de vingt cloches.
Après avoir fondé le prieuré d'Elseghem, près d'Audenarde, Rouge-Cloître fut supprimé, en 1784, par ordre de l'empereur Joseph II. Le gouvernement autrichien loua une partie des bâtiments : l'infirmerie, la brasserie et la maison du portier, pour un terme de six années commençant au 1er janvier 1786, à un nommé Wauthier, qui y établit une fabrique d'ouvrages d'acier. Cet essai n'ayant pas réussi, Wauthier quitta le pays. Le 24 août 1789, le domaine vendit l'enclos du couvent en trois parties, dont deux furent achetées par un nommé Gaspar d'Erps, moyennant 16,000 et 4,000 florins, et dont la troisième, avec un moulin et deux étangs, devint la propriété d'Adrien Sterckx, pour la somme de 4,000 florins. La révolution brabançonne rendit bientôt le monastère à ses anciens habitants, mais pour quelques années seulement. Vers la fin du mois de juin 1790, les religieux y rentrèrent, escortés d'un détachement de volontaires et d'une foule de paysans armés. Ils furent de nouveau chassés, en 1796, et leurs propriétés vendues. Une partie des bâtiments conventuels a disparu, entre autres l'église, qui brûla en 1834; les corps de logis élevés au seizième siècle, avec leurs larges fenêtres, à cintre surbaissé, sont restés debout. Le moulin à eau, dont la duchesse Jeanne autorisa l'établissement, derrière l'église (12avril 1398), sert actuellement à une teinturerie. Celle-ci, et la filature de coton qui se voit à l'entrée du vallon, près de la chaussée de Wavre, appartiennent à la famille Brugelman. Au-delà de l'ancien couvent, le chemin pénètre dans la forêt, qui offre en cet endroit des ombrages délicieux. Là se trouve la source de l'Empereur, de Keysers fonteyne (sans doute l'ancienne Clabots borre), où Charles-Quint venait peut-être se désaltérer, lorsqu'il chassait aux environs de Rouge-Cloître. Le vallon se termine dans une gorge actuellement cultivée, mais complètement entourée d'arbres. Elle était jadis embellie par deux pièces d'eau dites de Vlosch ou de Flos vyver, que la mort de maint cerf rendit célèbre dans les annales de la vénerie brabançonne; la duchesse Jeanne donna la plus grande, dont l'étendue était d'environ 3 hectares, au couvent de Rouge-Cloître, le 16 juillet 1395, à la condition de lui fournir 400 carpes par an, redevance qui fut réduite, en 1397, à 300 carpes (estimées 50 moutons le cent), et que, cependant, en 1514, les religieux regardaient comme étant encore excessive.
La belle vallée de Rouge-Cloître, avec ses étangs et les hauteurs adjacentes, formait jadis une oasis complètement isolée. Le chemin qui conduisait de Bruxelles à Yssche et à Wavre la côtoyait vers le sud, et traversait un pont voisin du château ducal de Trois-Fontaines; le chemin ayant été longtemps mal entretenu, les voyageurs prirent l'habitude de suivre un sentier par lequel les moines chassaient leur bétail dans la forêt. Cette voie de communication était fermée par une porte; mais comme cette faible barrière restait quelquefois ouverte, le public n'en tint nul compte et la fit ensuite disparaître. Troublés dans leurs exercices de piété, les religieux sollicitèrent de l'autorité ducale la permission de fermer de nouveau le chemin, et l'obtinrent, à la charge de payer un cens d'un denier par an (18 janvier 1428-1429 et 3 juin 1431).
Auderghem en 1659
Chaussée de Wavre au n° 2241
Château des Trois Fontaines
(actuellement salle d'expositions)
TROIS-FONTAINES — Vu de la chaussée de Wavre, qui le domine d'assez haut, le Clabotsvyver se présente de la manière la plus pittoresque; sa belle nappe d'eau se détache vivement des solitudes ombragées qui l'entourent. Vis-à-vis de cet étang, de l'autre côté de la route, une carrière, un four à chaux et une vieille habitation indiquèrent longtemps l'emplacement de l'ancien château de Dryen-Borren (Drie Borne, 1373) ou Trois-Fontaines. Construit surtout pour servir de prison aux braconniers et aux autres individus justiciables du tribunal de la Foresterie ou du consistoire de la Trompe, ce manoir enferma souvent des prisonniers politiques. En 1373, le maire de Louvain y conduisit Arnoul Van Redingen, qu'il avait arrêté à Vorde près du Loo (Vorde, by der Lot); mais la ville de Louvain s'étant plainte, parce que ses bourgeois ne pouvaient être emprisonnés hors de ses murs, le duc Wenceslas et la duchesse Jeanne ordonnèrent au maire de relâcher Arnoul (jour de Saint-George, en 1373). Cependant, peu de temps après, par ordre du duc lui-même, on commit encore une infraction semblable aux privilèges de l'ancienne capitale du Brabant, et celle-ci ne put en obtenir justice (1377). En 1446, des Liégeois avaient été incarcérés à Trois-Fontaines, mais ils s'échappèrent, et le conseil de Brabant leur accorda des lettres de sauf-conduit, afin qu'ils pussent venir à Bruxelles et faire valoir leurs droits (26 avril).
Le samedi avant la Nativité de saint Jean-Baptiste, en 1355, le duc Jean III fonda dans ce château (in cappella seu oratorio castri nostri de Tribus Fontibus) une chapellenie en l'honneur de Notre-Dame et de sainte Catherine; le bénéficier devait célébrer la messe quatre fois par semaine et résider en personne dans une maison voisine des remparts, qui avait été auparavant occupée par le cuisinier du duc, Godefroid. Jean III dota ce bénéfice d'un revenu consistant en 15 vieux écus, 10 petits florins de Florence, 12 muids de seigle, 50 mesures de bois, 25 muids de charbon, et octroya au possesseur le droit de faire pâturer dans la forêt 4 vaches ou 4 juments. Le 15 septembre 1446, Philippe le Bon unit cette chapellenie à la mense conventuelle des religieux de Saint-Jacques sur Caudenberg, à la demande du prévôt Strael, et afin de remédier à la « pauvreté du couvent, » pauvreté qui provenait, en partie, des changements survenus dans la valeur des monnaies. En outre, comme la chapelle du château tombait en ruine le duc déclara que les messes qui s'y disaient se célébreraient dorénavant dans la chapelle de sa maison de Boitsfort (in cappella domus nostre de Boutsfort), jusqu'à ce qu'on eût restauré le premier de ces oratoires ou disposé autrement de la chapellenie.
Sous le règne de Philippe II, la prison fut entièrement « désolée, brûlée et minée ». Un sergent de la forêt, Philippe De Meestere, obtint à cette époque l'autorisation d'y élever une hutte, jusqu'à nouvel ordre, et à la condition de veiller sur les matériaux restants, afin que l'on pût les utiliser plus tard (13 décembre 1585). Dans la suite, le manoir se composait d'une tour et de deux petits corps de logis, à fondements de pierre et à un seul étage. La tour ou donjon était également de pierres; sa porte d'entrée offrait un arc ogival, ses petites fenêtres affectaient la forme carrée, et sur le toit on voyait une flèche. Un pont d'une arche et un pont-levis donnaient accès au château, que l'eau environnait de tous côtés. En vertu de lettres patentes du 6 août 1680, accordées au gruyer Madoets, cet officier était de droit concierge ou châtelain des Trois-Fontaines, qu'il devait entretenir, ainsi que le déclara le conseil des finances, le 23 du même mois. Dans les derniers temps, le gruyer était aussi, d'ordinaire, le lieutenant du grand veneur. Le 6 mai 1786, les archiducs Albert et Marie-Christine ordonnèrent que les prisonniers du château seraient transférés dans les prisons de la porte de Laeken, à Bruxelles, où on les garderait dorénavant. Trois-Fontaines fut alors abandonné et tomba en ruine. Aujourd'hui on ne voit plus en cet endroit qu'une métairie.
Auwerghem (Auderghem)
Carte de Ferraris 1771