° Bruxelles - Le Temple des Augustins sur la place de Brouckère

 

Le Temple des Augustins vers 1890, entre la place de Brouckère et le boulevard Anspach
(Photo restaurée et colorisée par la Belgique des Quatre Vents)


LE TEMPLE DES AUGUSTINS 

SUR LA PLACE DE BROUCKERE

A Bruxelles

 

I. Contexte Historique : De l'église au temple culturel

L'histoire du bâtiment peut être divisée en trois grandes phases, reflétant les turbulences politiques et religieuses de la Belgique.

1. L’Origine religieuse (1620 - 1796)

Construite entre 1620 et 1642, l'église appartenait au Couvent des Augustins. Elle était située le long des rives de la Senne (la rivière qui traversait Bruxelles à ciel ouvert), dans un quartier alors marécageux et populaire. Son architecte, Jacob Franquart (ou Jacques Francart), était l'un des maîtres du baroque dans les Pays-Bas méridionaux. L'église servait de lieu de culte catholique jusqu'à la Révolution française.


L'église et le couvent des Augustins en 1642
Gravure extraite de Chorographia Sacra Brabantiae, 17e siècle


2. La Sécularisation et les usages multiples (1796 - 1830)

Avec l'occupation française, les ordres religieux sont supprimés. L'église est fermée en 1796 et transformée en hôpital militaire, puis en entrepôt. Sous la période hollandaise (1815-1830), le bâtiment est rendu au culte mais devient un temple protestant (d'où le nom qui lui est resté : "Temple des Augustins"), servant l'église réformée néerlandaise.


Dans le Temple des Augustins, baptême de Guillaume III, futur roi des Pays-Bas, en 1817


3. Le Pôle culturel et commercial (1830 - 1893)

Après l'indépendance de la Belgique (1830), le bâtiment perd sa fonction religieuse exclusive. Il devient un lieu polyvalent : salle de concert (Hector Berlioz y dirige sa Symphonie Fantastique en 1842), lieu d'expositions, et même Grande Poste centrale de Bruxelles (de 1872 à 1885) avant la construction de la poste de la place de la Monnaie. 


Le Temple des Augustins converti en Bureau Central des Postes


II. Analyse Architecturale

Le Temple des Augustins était un chef-d'œuvre du Baroque brabançon.

La Façade-Écran : Contrairement aux églises gothiques ou romanes où la structure est visible de l'extérieur, Franquart a conçu une façade spectaculaire, très graphique, conçue comme un décor de théâtre urbain.

Verticalité et Tripartition : La façade était divisée en trois registres (étages) superposés, se rétrécissant vers le haut, reliés par de grandes volutes (les enroulements de pierre sur les côtés) typiques du baroque. Cette structure guidait l'œil vers le ciel.

Ornementation : Elle mêlait colonnes, pilastres, frontons brisés, pots à feu (urnes décoratives) et un grand oculus central, créant un jeu d'ombre et de lumière très dynamique.

L'intérieur, vaste et sans colonnes massives obstruant la vue (car l'ordre des Augustins était un ordre prêcheur qui nécessitait que les fidèles voient et entendent le prédicateur), se prêtait parfaitement à sa reconversion ultérieure en salle de spectacle.


III. Analyse Urbaine : Le conflit avec la modernité

C'est son emplacement qui a scellé le destin du Temple des Augustins.

1. Le voûtement de la Senne (1867-1871)

Lorsque le bourgmestre Jules Anspach lance les gigantesques travaux pour recouvrir la Senne et créer les grands boulevards du centre, le Temple des Augustins est épargné, mais son contexte change radicalement.

(Les nouveaux boulevards seront le Boulevard Central, renommé ensuite Boulevard Anspach; le Boulevard du Nord, renommé Boulevard Adolphe Max; le Boulevard de la Senne, renommé Boulevard Jacqmain; le Boulevard du Hainaut, renommé Boulevard Lemonnier). 


Vue arrière du Temple des Augustins en 1866 (Photo Louis Ghémar)
Toute cette section de la rue de la Fiancée est rasée en 1870 et devient la place de Brouckère

Le Temple des Augustins  lors de l'aménagement de la place de Brouckère
(Photo Louis Ghémar)

Le Temple des Augustins  lors de l'aménagement de la place de Brouckère en 1870
(Photo Louis Ghémar)

Le Temple des Augustins se retrouve isolé au centre de la nouvelle Place de Brouckère, dispositif central de l'axe formé par les nouveaux boulevards. Il servait de point de fuite focal : le boulevard Anspach butait sur sa façade, et la circulation devait contourner l'édifice pour rejoindre le boulevard Émile Jacqmain ou le boulevard Adolphe Max (formant un "Y").


Ce tableau de Franz Gailliard, "Après le Carnaval", de 1890, nous fait voir
l'implantation arrière du Temple des Augustins sur la place de Brouckère

Le boulevard Anspach et la perspective sur le Temple des Augustins, vers 1890


2. La démolition (1893)

À la fin du XIXe siècle, la vision fonctionnaliste de la ville l'emporte. Le Temple est jugé gênant pour deux raisons :

Circulation : Il crée un goulot d'étranglement pour le trafic croissant (tramways, charrettes, piétons) entre les boulevards du nord et du centre.

Esthétique bourgeoise : On souhaite donner à la place de Brouckère une allure plus "parisienne" et monumentale, dégagée de cet obstacle visuel.

En 1893, la décision est prise de le démolir. 


IV. Le "Façadisme" avant l'heure : Une résurrection à Ixelles

Le Temple des Augustins est un cas intéressant de préservation du patrimoine par déplacement. Devant l'émoi suscité par la destruction d'un tel chef-d'œuvre baroque, un compromis fut trouvé :

La façade n'a pas été détruite à coups de pioche. Elle a été démontée pierre par pierre, numérotée, et reconstruite quelques kilomètres plus loin, dans la commune d'Ixelles.

Aujourd'hui, si vous voulez voir à quoi ressemblait le Temple des Augustins de la place de Brouckère, il suffit de se rendre devant l'Église de la Sainte-Trinité (parvis de la Trinité à Ixelles). L'architecte J.J. Van Ysendyck a plaqué la façade baroque du XVIIe siècle de Franquart sur une nouvelle église.


La façade du Temple des Augustins reconstituée à Ixelles


Conclusion

Le Temple des Augustins incarne parfaitement les tensions de l'urbanisme bruxellois du XIXe siècle : la lutte entre le tissu historique ancien et la volonté de modernisation "haussmannienne". Sa démolition a marqué la fin de l'ancien Bruxelles riverain de la Senne, mais sa survie sous forme de "greffe architecturale" à Ixelles témoigne de la prise de conscience naissante de la valeur du patrimoine bâti.


(Source diverses assemblées par la Belgique des Quatre Vents)