TEMPLIERS Les Templiers de Lissewege

 

Eglise Notre-Dame de la Visitation à Lissewege


LES TEMPLIERS DE LISSEWEGE


Entre mythes, pèlerinage et héritage en Flandre

Le paisible village de Lissewege, niché au cœur des polders flamands non loin de Bruges, est depuis longtemps enveloppé d'une aura de mystère et d'histoire liée à la présence de l'Ordre du Temple. Si les preuves formelles d'une commanderie templière manquent, un faisceau d'indices, de légendes tenaces et de monuments imposants témoigne d'une connexion profonde, façonnant l'identité même de ce "village blanc".


Origine : Un carrefour stratégique pour les pèlerins

L'histoire des Templiers à Lissewege est intrinsèquement liée à sa position de carrefour spirituel au Moyen Âge. Le village constituait en effet un point de départ nordique majeur pour le pèlerinage vers Saint-Jacques-de-Compostelle. Les Templiers, dont l'une des missions fondatrices était la protection des pèlerins en route vers les lieux saints, auraient ainsi trouvé à Lissewege un lieu stratégique pour leurs activités. La tradition populaire et de nombreuses sources suggèrent que l'Ordre a joué un rôle crucial dans l'accueil et la protection des voyageurs, justifiant ainsi une implantation dans la région.


Les armes de Lissewege
et leurs trois Coquilles de Saint-Jacques


Cette présence est également attestée par des documents historiques mentionnant que les Templiers percevaient des dîmes à Lissewege, notamment la "cinquième et sixième gerbe" des récoltes, ce qui confirme leur assise économique et foncière dans le village.


L'Église Notre-Dame-de-la-Visitation : Une cathédrale en miniature financée par la foi et l'Ordre ?

Le monument le plus emblématique de Lissewege est sans conteste l'église Notre-Dame-de-la-Visitation. Construite au XIIIe siècle, en pleine période d'activité des Templiers, ses dimensions sont spectaculaires et disproportionnées pour un si petit village (quelques centaines d'habitants à l'époque). Cette taille imposante s'explique principalement par son rôle d'église de pèlerinage.


Notre-Dame de Lissewege et la statue de Willem van Saeftinghe


Selon la théorie la plus répandue, la construction de cet édifice monumental aurait été financée en grande partie par les offrandes des nombreux pèlerins et par le mécénat des Templiers. L'église aurait ainsi été conçue pour accueillir et impressionner les foules de voyageurs débutant leur long périple vers la Galice.

Une autre théorie exprime ceci : haute de 50 mètres, la tour de l’église Notre-Dame pourrait avoir été conçue "comme ayant à servir de phare pour la navigation maritime sur une Mer du Nord beaucoup plus proche de Bruges que de nos jours". De fait, la Mer du Nord a souvent avancé et reculé par rapport à la ligne côtière actuelle (Transgressions Marines Dunkerque 1, 2 et 3 notamment), mais à l'époque de l'érection de l'église, Lissewege semblerait bien avoir été relativement éloignée de la côte.

(Pour comparaison, les tours de la cathédrale SS. Michel et Gudule à Bruxelles mesurent 64 mètres).


L'Abbaye de Ter Doest et la figure de Willem van Saefthinge

À proximité de Lissewege se trouvent les vestiges de l'abbaye de Ter Doest, une puissante abbaye cistercienne, aujourd'hui disparue, à l'exception d'une imposante grange. De nos jours, des expositions d'art sont régulièrement  organisées dans cet environnement.


La grange de l'abbaye de Ter Doest


Bien qu'étant d'un ordre monastique différent, des liens avec les Templiers sont évoqués, notamment à travers la figure légendaire de Willem van Saefthinge. Ce frère lai de l'abbaye, connu pour sa bravoure à la bataille des Éperons d'Or en 1302, est présenté par certaines sources comme un ancien Templier. Cette connexion, bien que débattue par les historiens, a fortement contribué à ancrer la présence templière dans l'imaginaire collectif de la région. Les légendes locales font même état de souterrains reliant l'abbaye à d'autres sites templiers (article détaillé à ce sujet en fin de page).


Statue de Willem van Saeftinghe à Lissewege


Le mystère du "Baphomet" et les symboles templiers

L'église de Lissewege recèlerait également des symboles attribués aux Templiers. L'un des plus intrigants est une petite tête sculptée, parfois qualifiée de "tête de Baphomet". Cependant, aucune analyse iconographique détaillée et unanimement acceptée ne vient confirmer cette identification, qui relève davantage de l'interprétation ésotérique que de la certitude historique. La fameuse idole que les Templiers furent accusés de vénérer lors de leur procès reste une figure largement fantasmée, et l'attribution de cette sculpture au Baphomet est à considérer avec prudence.


Le Baphomet de l'église Notre-Dame à Lissewege


D'autres éléments, comme la présence de croix pattées sur des pierres tombales ou des autels, sont parfois avancés comme des preuves de l'influence templière, mais ce type de croix était également utilisé par d'autres ordres et institutions à l'époque médiévale.


Destination : Un héritage immatériel et touristique

Après la dissolution de l'Ordre du Temple en 1312, les biens des chevaliers aux blancs manteaux furent en grande partie transférés à l'Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem (futur Ordre de Malte, toujours actif de nos jours), qui continuèrent à percevoir les dîmes à Lissewege. 

Aujourd'hui, Lissewege cultive cette histoire et cette part de mystère. Le village est une destination touristique prisée, attirant les visiteurs en quête de patrimoine médiéval et d'atmosphères authentiques. Le "mythe templier" est devenu un élément central de son identité et de son attrait.


Conclusion : Entre histoire et légende

L'analyse de la présence templière à Lissewege révèle une trame complexe où les faits historiques avérés se mêlent à des traditions locales solidement ancrées. Si l'existence d'une commanderie en tant que telle reste à prouver de manière irréfutable, l'implication des Templiers dans la vie économique et spirituelle du village, notamment à travers la perception de dîmes et leur rôle supposé dans le soutien au pèlerinage de Compostelle, est hautement probable.

L'église Notre-Dame-de-la-Visitation demeure le témoin le plus tangible de l'importance de Lissewege au Moyen Âge, sa taille exceptionnelle étant une conséquence directe de son statut de point de départ pour les pèlerins. La légende de Willem van Saefthinge et les interprétations symboliques de certains éléments sculpturaux de l'église, bien que difficiles à étayer scientifiquement, nourrissent un imaginaire puissant qui fait de Lissewege un lieu unique en Flandre.

En définitive, Lissewege offre un cas d'étude fascinant sur la construction d'une mémoire templière. L'héritage de l'Ordre y perdure, non pas tant dans des vestiges matériels incontestables que dans les récits, les pierres de son église monumentale et l'âme d'un village qui se souvient avoir été un jour une porte d'entrée vers les grands chemins de la foi, sous la protection supposée des moines-soldats.

(Sources diverses - Photos de Denis Saulnes)



ANNEXE



Les anciens de Lissewege racontent...

Les souterrains des templiers

Par Bo Vickery


Depuis des siècles, un mystère plane sur le village de Lissewege. Les légendes sont omniprésentes, mais celle qui revient avec persistance à Lissewege est l'existence de souterrains que les templiers auraient creusés pour pouvoir s'enfuir. Est-ce un fait ou une fiction ? Je l'ignore, mais l'écrivain de fiction en moi veut bien sûr y croire. Peut-être faut-il un instant revenir à ce que racontent les anciens de Lissewege.


1. L'inspiration de Johan Ballegeer

C'est Johan Ballegeer, habitant de Lissewege et auteur pour la jeunesse, qui m'a mis sur la piste des templiers. Enfant, je l'avais un jour interviewé (...).

Il y a trois ans, Rob, un ami, m'a parlé d'un livre intéressant de Johan Ballegeer datant de 1985 que je ne connaissais pas encore : L'église de Lissewege, les templiers, les compagnons : une hypothèse alternative. Cela m'a mis sur la piste des templiers et des légendes anciennes.

Le fait que les templiers recevaient une partie des dîmes de Lissewege indique bien qu'ils avaient un lien avec le village :

« Les Templiers avaient aussi des dîmes à Lissewege : "...ledit Ordre a dans la paroisse de Lisseweghe une Dîme nommée la CINQUIÈME-SIXIÈME, c'est-à-dire la cinquième et la sixième gerbe de la Dîme (de) toute la Paroisse" (Comm. Caestr. f.244). »

(Source : BALLEGEER, J., « Topografie van Lissewege - vervolg deel III », Rond de Poldertorens, 1960, 9-13)

D'autres articles d'histoire locale font également référence aux légendes populaires qui établissent un lien entre les templiers, Lissewege et Ter Doest. Comme, par exemple, l'article de WINTEIN, W., « Carte de l'ancienne commune de Koolkerke avec une esquisse historique correspondante jusqu'en 1850 - partie 1 », Rond de poldertorens, 1965, 1-41, dans lequel il est raconté que la ferme De Roode Poort à Koolkerke aurait été une métairie des templiers, mais aussi que selon une ancienne croyance populaire, l'abbaye de Ter Doest aurait été une abbaye « des templiers ». Les récits populaires sont bien sûr des récits populaires, mais tout de même ? Tant que le site de Ter Doest ne fait pas l'objet de fouilles archéologiques sérieuses, impossible de savoir.

Car certaines légendes semblent un peu absurdes. Même à Lo, on écrivait en 1884 au sujet d'un souterrain des templiers qui se prolongerait jusqu'à Ter Doest depuis Lissewege. Source : les chroniques du Westhoek. C'est dire que les souterrains, les templiers et Lissewege (Ter Doest) reviennent également dans les légendes d'autres régions.


2. Les interviews des années 70

Magda Cafmeyer, une historienne locale, a interviewé en 1970 et 1971 des anciens de Lissewege, alors très âgés. Les entretiens portaient principalement sur la vie au village et le creusement du canal Baudouin. Mais presque tous ont, d'une manière ou d'une autre, abordé une histoire concernant un accès aux souterrains des templiers. Je reprends ici les extraits à ce sujet.


Moens le maçon

Le fait qu'il y ait encore des choses à trouver dans les sols de Ter Doest, par exemple, ressort de ce passage du récit de Moens le maçon :

« Pour le fermier Vanden Berghe, nous avons aussi travaillé au Groot ter Doest, nous devions un jour creuser une citerne et à un peu moins de deux mètres de profondeur, nous sommes tombés sur des pierres tombales en pierre de taille comme dans l'église, c'est donc de toute évidence un ancien bien des pères des siècles passés. Dans la petite drève, nous sommes tombés sur des "kornootjes" (?), des sortes de petits conduits de 25 centimètres de large, déjà en manchons de 30 sur 16 centimètres. Nous avons dû les transporter à l'église pour le curé Munte (Pitte) afin d'effectuer les réparations nécessaires après la première guerre. »


Tobbe d'Oelem

Tobbe affirme avoir entendu dire que lors du creusement du canal Baudouin, des galeries en direction de Dudzele auraient été percées.

« Dans le Grote Bogaard (Grand Verger) se trouvait une meule de moulin et c'était, disait-on, le couvercle au-dessus de l'entrée du souterrain menant à l'église de Dudzele. Ces pères étaient très riches et pouvaient ainsi s'enfuir avant d'être attaqués. On prétendait que même sept chevaux avaient tiré sur la meule sans parvenir à la déplacer. Lors du creusement du canal, cette galerie aurait été percée. Les Allemands appelaient Ter Doest le Kloosterhof, donc des pères devaient y avoir habité. »


Le vieux Gille

Le vieux Gille parle aussi du souterrain dont il avait entendu parler et de la meule qu'il avait brisée. Le fait que la galerie ait été percée par le creusement du canal Baudouin est également mentionné ici.

« Quand j'étais marié, j'ai vécu là pendant trois ans dans le corps de garde de Ter Doest comme valet. Il faut bien comprendre, ma femme était de la famille de la deuxième épouse de Vanden Berghe, c'était vers l'an onze (1911). Ils louaient à l'Évêché car c'était autrefois un monastère de pères et j'avais souvent entendu parler du souterrain de Ter Doest vers la sacristie de Dudzele. En creusant le canal, cette galerie aurait été interrompue sans que les terrassiers y aient prêté attention. Or, dans le Bogaard (verger) se trouvait une grosse pierre que personne ne pouvait soulever, et l'on disait que c'était là l'entrée de cette galerie. J'ai essayé avec quatre chevaux de soulever la pierre et tout ce que j'ai trouvé, c'est un sol dur comme de l'os, alors je n'ai pas cherché plus loin. J'ai brisé la pierre en morceaux avec une grosse masse, elle a éclaté comme du verre, et j'ai mis les morceaux sur un chemin en mauvais état. »

Ces habitants de Lissewege avaient-ils trop d'imagination ou avaient-ils appris l'histoire de la percée du souterrain par leur famille qui avait participé au creusement du canal Baudouin ?


3. Le lien entre les templiers et les comtes de Flandre

J'ai lu dans un article de Bernard Schotte que les templiers avaient un lien étroit avec Robert de Béthune et son père Gui de Dampierre, les comtes de Flandre dans la période précédant, pendant et après la bataille des Éperons d'Or (1300-1307). Le commandeur des templiers de Flandre, Pieter Uten Zacke, accordait des prêts et des avances d'argent aux comtes et leur achetait des terres. Il recevait également des dons de Gui de Dampierre. Pieter Uten Zacke était aussi l'un des trois conseillers de Philippe de Chieti, qui assurait la régence lorsque son père Gui et son frère Robert étaient emprisonnés par le roi de France, Philippe le Bel. Il mena la révolte contre le roi de France, notamment à la bataille de Mons-en-Pévèle en 1304, où les Flamands furent vaincus. Mais cette bataille est tombée dans les brumes de l'histoire, alors que la bataille des Éperons d'Or de 1302 est bien connue. C'est ce que nous gagnons que nous retenons, pas les défaites. L'histoire est écrite par les vainqueurs et sur les vainqueurs, pas sur les défaites. Pourtant, elles font aussi partie de l'histoire. Mons-en-Pévèle n'est plus mentionné qu'une fois par an lors de la course Paris-Roubaix (Mont-en-Pévèle). Ce qu'il est advenu des templiers en Flandre après l'ordre d'arrestation de 1307 est un peu flou. Cependant, je me dis parfois : si les liens étaient si étroits entre les comtes de Flandre et les templiers, et que tous deux avaient un problème avec Philippe le Bel, une collaboration semble évidente si l'un des deux se retrouve en difficulté. Qu'en pensez-vous ?

4. Les templiers refont surface

J'écris cet article après avoir participé, en tant qu'auteur, à des enregistrements pour l'émission Vlaanderen Vakantieland. Lors d'un tournage pour la télévision, il faut suivre un scénario convenu et, dans mon cas, il s'agissait de parler du lien entre les templiers et Lissewege, et de la possibilité que le trésor des templiers soit caché à Lissewege (lisez mon article de blog Les 10 commandements pour survivre à un tournage de Vlaanderen Vakantieland).

Mais que constaté-je aujourd'hui, une semaine avant la diffusion : les templiers refont réellement surface. Tant à Zwankendamme qu'à Bruges, des cérémonies publiques ont eu lieu avec des branches de l'ordre templier actuel. Car oui, il existe encore.

Vous trouverez des images à ce sujet sur :

't Lissewegenartje : lien vers les photos d'ambiance - lien vers le site web (voir l'article de blog du 25/09/2021)

Facebook The Bruges Feeling, publication du 26 septembre 2021 (la publication ne peut être partagée car il s'agit d'un groupe privé, mais elle vaut la peine d'être suivie par les Brugeois et les amateurs de Bruges).

On se demande parfois si c'est une coïncidence ou si les templiers refont surface à Lissewege.

La conclusion de ces légendes et récits est finalement que nous ne savons pas quelle était la situation autrefois. Cependant, lorsque j'entends des histoires sur Lissewege et les templiers, je ne peux m'empêcher de penser : n'y a-t-il pas de fumée sans feu ? Seules des recherches archéologiques sérieuses pourront apporter un peu plus de clarté sur l'histoire de l'abbaye de Ter Doest. Et qui sait, un lien avec les templiers sera peut-être alors réellement découvert ?