FM Histoire de la Franc-Maçonnerie en Belgique avant 1862

 

Photographie du diplôme délivré en 1788 par la loge maçonnique liégeoise de "la Parfaite Intelligence" à George Adam Kilber, secrétaire des Postes de sa Majesté l’Empereur et Roi, en qualité d’apprenti, compagnon et maître. Le diplôme est signé du baron de Sarolea de Cheratte, grand-maître, et par « H.M. Chefneux, negotiant, surveillant ».


HISTOIRE DE LA FRANC-MAÇONNERIE EN BELGIQUE 

AVANT 1862


Dans son « Histoire des trois grands loges de Francs-Maçons en France » rédigée en 1862, Rebold brosse en fin d’ouvrage un aperçu historique des loges maçonniques dans divers pays d’Europe, dont la Belgique.

Nous sommes ici tout à l’opposé du ton antimaçonnique de l’abbé Gyr (voir l’article « Histoire de la Franc-Maçonnerie en Belgique avant 1854 »). Emmanuel Rebold défend avec enthousiasme la cause maçonnique, et nous propose même un aperçu des vives tensions qui existent, à cette époque, entre les Loges et le clergé catholique.

Charles Saint-André

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Belgique.

L'histoire de la franc-maçonnerie en Belgique se divise en plusieurs périodes : celle pendant laquelle la Belgique fait partie des Pays-Bas autrichiens, celle pendant laquelle elle fut incorporée à l'empire français, celle de sa réunion à la Hollande, et enfin la période actuelle qui commence à dater de l'indépendance du royaume de Belgique. Ce fut le premier pays du continent qui reçut la nouvelle franc-maçonnerie de l'Angleterre. La première loge fut constituée à Mons, le 4 juin 1721, sous le titre de « la Parfaits Union » par le duc de Montague, alors Gr. Maître de la Gr. Loge de Londres. C'est cette même loge qui plus tard s'érigea en Gr. Loge anglaise des Pays-Bas autrichiens; mais elle subit en 1785 le sort de toutes les autres, par suite des édits de l'empereur Joseph II.

Une autre loge fut établie en 1730 à Gand, sous la domination autrichienne ; en butte aux persécutions du clergé catholique, armé des bulles d'excommunications lancées par les papes, elle ne travailla que dans le plus profond secret, ainsi que quelques autres loges, qui furent établies à la même époque. Ces loges étaient en grande partie composées de membres de la noblesse, animés la plupart de tendances démocratiques et travaillant à répandre les principes libéraux parmi le peuple. Les plus zélés patriotes se trouvaient à leur tête. Le clergé lui-même, qui alors était libéral, se montrait fort partisan de la maçonnerie; l'évêque de Liège et un grand nombre d'ecclésiastiques s'étaient fait initier et dirigeaient des loges; le duc d'Ursel, le due d'Aremberg, les princes de Ligne et de Gavre prenaient une part active aux travaux maçonniques. On comptait alors 15 loges en activité; malheureusement les manifestations politiques de la population des Pays-Bas autrichiens eurent pour conséquence que l'empereur Joseph II en 1785 et en 1786 interdit les réunions maçonniques, toutefois il permit aux loges de Bruxelles de rester en activité; mais en 1787 il ordonna par un nouvel édit la fermeture de toutes les loges sans exception, sous les peines les plus sévères.

Quand la Belgique fut incorporée à la France, les loges belges, qui s'étaient réveillées, durent forcément se placer sous l'obédience du Grand Orient de France, et dès lors la maçonnerie belge fait partie intégrante de celle de la France qui y a constitué 22 nouveaux ateliers. En 1814, on comptait en Belgique 27 loges en activité. Par le fait de la réunion du pays à la Hollande, ces loges, tout à coup sans appui s'efforcèrent en vain pendant trois ans de former à Bruxelles une autorité centrale. Enfin le prince Frédéric des Pays-Bas, deuxième (ils du roi, qui, après l'affranchissement de la Hollande, y avait de nouveau constitué un Grand Orient, proposa aux loges belges la création de deux Grandes Loges indépendantes, qui dirigeraient tous les ateliers symboliques et auraient chacune son administration et sa juridiction particulière : l'une comprenant dans son ressort toutes les loges septentrionales et celles établies aux Indes orientales, siégerait à La Haye; l'autre, dirigeant les loges des provinces méridionales et des Indes occidentales, aurait son siége à Bruxelles. Le Grand Orient de Hollande, ainsi divisé en trois sections formerait le conseil supérieur, appelé à connaître de toutes les affaires affectant les grands principes de la franc-maçonnerie en général, etc.

Ce traité d'union fut conclu en 1817, et l'installation de la Grande Loge provinciale de. Bruxelles eut lieu le 11 avril 1818. Le prince Frédéric fut élu Grand Maître des trois grandes loges indépendantes, et nomma ses représentants : le Fr. Falk, ministre d'État auprès de la Grande Loge provinciale de La Haye, et le prince de Gavre auprès de celle de Bruxelles.

A partir de cette époque l'histoire de la franc-maçonnerie belge se confond avec celle de la franc-maçonnerie hollandaise. Nous ajouterons seulement que de 1817 à 1832 on a cherché à faire prévaloir en Belgique, notamment à Bruxelles, différents systèmes à hauts grades.

La séparation de la Belgique d'avec la Hollande, qui eut lieu en 1831, modifia de nouveau la situation de la maçonnerie dans le premier de ces deux pays.

La Grande Loge provinciale de Bruxelles, isolée désormais du Grand Orient de Hollande, invita par circulaire du 16 décembre 1832 toutes les loges du nouveau royaume à la reconnaître comme autorité indépendante, à se réunir à elle, et à envoyer leurs délégués à une assemblée générale convoquée pour le 23 février 1833. Seulement 4 loges s'y firent représenter. Les délégués présents décidèrent néanmoins de déclarer dissoute la Grande Loge provinciale des Pays-Bas, et de constituer à sa place un Grand Orient belge. Cette nouvelle autorité, placée sous le protectorat du roi Léopold, qui est maçon, réussit à réunir à elle, mais non sans difficulté, toutes les loges de la Belgique, sauf quatre qui furent alors déclarées irrégulières. Le 1er mai 1835 le baron G. J. de Stassart fut nommé Grand Maître,

L'état florissant de la maçonnerie et l'influence que ses membres exerçaient sur toutes les classes de la société, provoquèrent la haine du clergé catholique, qui recommença ses persécutions contre les francs-maçons, et l'archevêque de Malines, lança en 1837, fait inouï pour notre époque, une sentence d'excommunication contre tous les francs-maçons belges. La lutte devint de plus en plus vive ; le parti catholique, dont le Journal de la Belgique est l'organe, se prévalant de la part qu'il a prise à la révolution de 1830, a la prétention de dominer le pays, et déploie l'intolérance que d'ailleurs il déploie ordinairement partout où sa prépondérance est établie.

Les maçons belges sont poursuivis, excommuniés, "harcelés dans leurs intérêts matériels et leur position sociale, jusqu'au foyer de la famille, par ces ennemis implacables, qui parviennent à faire destituer le président du Sénat, le gouverneur de Bruxelles, parce qu'ils sont francs-maçons, bien que le roi lui-même le soit aussi. Mais ces persécutions ne font que stimuler le zèle des vrais enfants de la lumière. Le Grand Orient prend une attitude pleine de dignité, alliant la modération à la force ; les francs-maçons combattent avec ardeur; ils opposent l'université libre à l'université catholique, des publications franches, loyales aux anathèmes, et la prédication des vérités éternelles de leur foi à l'intolérance et à l'ambition théocratique ; aussi finissent-ils par triompher.

Au F. de Stassart démissionnaire en 1841, succéda le F. Defacqz d'Ath, conseiller à la Cour de cassation, et à celui-ci, en 1854, le F. Th. Verhaegen, avocat et président de la Chambre des Représentants.

Le nouveau Grand Maître, voyant l'institution constamment en butte aux attaques de l'obscurantisme politique et clérical, insista, dans un discours prononcé à la saint Jean 1854 et reflétant ses profondes convictions et le talent éminent qui le distingue, sur la nécessité que la maçonnerie s'opposât de plus en plus énergiquement à ce parti et traitât les questions religieuses et politiques qui intéressaient le pays; qu'en conséquence on amendât dans les statuts généraux du Grand Orient la disposition qui interdisait les discussions religieuses et politiques en loge. Son avis fut approuvé par tous les maçons qui assistaient à la fête, et l'on décida la publication de son discours.

Cette déclaration, imprimée et propagée, provoqua de nombreuses protestations de la part des grandes loges de l'Allemagne, et même de celle de Suède, qui non-seulement interrompirent à la suite de cette manifestation leur rapport avec le Grand Orient de la Belgique, mais firent même défense à leurs ateliers de recevoir les maçons belges.

Ce fait eut encore une autre conséquence déplorable. Les chefs du Sup. Conseil du rite écossais 33e siégeant à Bruxelles, autorité rivale du Grand Orient, et quelques loges de l'obédience du Grand Orient, protestèrent contre l'interprétation des principes et des droits maçonniques, émise par le Grand Maître Verhaegen, et les ateliers dissidents du Grand Orient passèrent sous la bannière du Suprême Conseil.
Cette fâcheuse situation est restée à peu près la même jusqu'ici.

Les statuts du Grand Orient promulgués le 19 janvier 1838 ne contiennent que 15 articles, et ne font mention d'aucune autre maçonnerie que de celle des trois grades symbolique : chaque loge de l'Union est représentée par trois délégués, qui en assemblée générale exercent le pouvoir législatif. Le Grand Orient de Belgique dirige actuellement (1862) 60 loges symboliques. Le Sup. Conseil du rite écossais 33° (constitué le 1er mars 1817) eut longtemps une existence précaire; il compte aujourd'hui 13 loges dans sa juridiction. Ces deux autorités tiennent leurs assemblées dans le même local.