TRADITIONS Saints patrons des rues de Mons

 

Sainte Waudru (612 - 686)
Soeur de sainte Aldegonde de Maubeuge, 
toutes deux filles de saint Walbert et sainte Bertille,
 accompagnée de son mari saint Vincent de Soignies, 
et de leurs enfants saint Landry (évêque de Metz), 
saint Dentelin, sainte Adeltrude et sainte Madelberte



SAINTS PATRONS DES RUES DE MONS

Par Léopold Devillers

Extrait des "Annales du Cercle Archéologique de Mons"
Tome II - 1859



Patrons des rues de Mons

Voici la reproduction textuelle d'un document curieux des archives communales de Mons, qui nous a été communiqué par M. l'archiviste Lacroix, et qui porte pour titre :  Liste des saints et saintes et des rues (XVIIème siècle).


Saint Jean. — Rue de Bertaimont, Grande Rue, la Chaussée, Grand-Marché (Grand-Place).

Saint François. — Le Rivage, Béguinage, Cincq Visages, la Grosse-Pomme, Dames Oyseuses (aujourd'hui rue Notre-Dame Débonnaire).

Saint Augustin. — Rue de Hauts-Bois, la ruelle des Loups (la ruelle des Loups est supprimée), le Cul du Sacq, les trois Chasses (la ruelle Rachot, Spira et Montignies), la Guéritte (proche de la maison de Londres).

Saint Ambroise. — Rue d'Havrez, rue Jean Renaux (atcuellement rue de la Biche), Marché au Poisson aujourd'hui marché à la volaille), Coure du Miroire, Rue des Belneux (autrefois rue Rivart).

Saint Sébastien. — Rue des Juifs, Croix Place, rue du nouveau Vers (probablement l'actuelle rue du Cerf-Volant), Trou Oudart, rue des Blancs Mouchons, rue de Dinand (sic).

Saint Antoine. — Petit Marché, rue de la Couronne, rue de la Clée, Grande Triperie (la partie haute de cette rue a pris le nom de rue de la Coupe), Petite Triperie.

Saint Adrien. — Rue de Passages, rue Mont-Escouvet, rue de Grousseliers.

Saint Philippe. — Grande Guerlande, Petite Guerlande, rue de Liége, rue Sans Coron.

Notre-Dame. — Rue Notre-Dame, rue Noble, la Petite Boucherie, rue Samson, rue de Nate.

Saint Roch. — Rue de Nimy, rue de la Tilleries, rue Sans Raison, Cour du Noir Levrier, rue des Fossez.

Saint Pierre. — La place Saint Jean, rue du Grand Cerf, rue de Quatre fils Aimont, rue des Marcottes, rue des Estampes, rue Neuve.

Saint Germain. — Rue du Parcq, rue des Indes, rue des Telliers, rue des Compaignions, rue des Gailliés.

Saint Thomas Dacquain. — Borgne Agasse, Galiarmont, rue des Quiévrois, rue d'Enghien.

Notre-Dame de Douleur. — Rue de Nimy, la chasse du Grand Jour, Trou Boudain, rue de la Tillerie, rue de Gaillier.

Notre-Dame de Bénédiction. — Rue des Haut Bois, la ruelle des Loups, le Cul du Sacq, les trois Chasses, la Guéritte.

Sainte Marguerite. — Rue de Bertaimont, rue des Blancs Mouchons, Grande Rue, la Chaussée, Grand Marché.

Sainte Barbe. — Rue des Passages, Mont Escouvez, rue des Grousseliers, rue Verde.

Sainte Catherine. — La place Saint Jean, rue des Marcottes, rue des Estampes, rue du Blanc Cerf, rue des Quatre fils Aimont.

Sainte Vénérande. —Rue Notre-Dame, rue Samson, rue des Viesiers, rue des Juifs, le Trou Oudart.

Sainte Jeanne. — Rue du Parcq, rue des Indes, rue des Telliers, rue des Compagnons, rue d'Indiens.

Sainte Anne. — Le Rivage, rue Cincq Visages, Béguinage, rue de la Grosse Pomme, rue des Dames Oyseuses, rue de la Potrie, rue des Clercqs.

Sainte Agnesse. — Rue de Nimys, rue Sans Raison, Coure du Noire Levrier, rue des Fossez.

Sainte Waudru. — La Grande Guerlante, Petite Guerlante, rue de Liége, rue Sans Coron, rue de Dinant.

Sainte Elisabeth. — Rue d'Avrez , rue Jean Renaux, Marché au Poisson, Coure (sic) du Miroir, rue des Belneux.

Sainte Marie Magdelaine. — Grande Triperie, Petite Triperie, Petit Marché, rue de la Couronne, rue de la Clef.

On comprend qu'à une époque où tout dans notre ville avait pour centre commun la religion, ses divers quartiers fussent mis sous la protection d'un saint ou d'une sainte.

Aujourd'hui encore, on voit dans les rues de Mons de nombreuses niches contenant des madones.

Nous avons recueilli les noms sous lesquels sont connues celles de ces statues que l'on rencontre encore dans plusieurs de nos rues. Les voici :  Notre-Dame des Sept-Douleurs, 1734 (rue de la Couronne, n° 5); N.-D. de Cambron (rue à Degrés, n° 2); N.-D. de Bon-Vouloir (rue des Fripiers, n° 33, rue Notre-Dame, n° 52); N.-D de Bon-Secours (Grand Béguinage, contre la muraille de l'ancienne cure, rue de la Halle, n° 4, rue Sans Corron, n° 1, rue de Dinant, contre la maison à l'angle de la rue des Capucins, n° 15, rue des Marcottes, entre les maisons n° 5 et 7, rue Notre-Dame, n° 9, rue des Chartriers, n° 19, ruelle des Pécheurs, n° 10, et rue des Gailliers, vis-à-vis de la maison n° 5); N.-D. du Refuge (rue de la Petite-Triperie, n° 21); N.-D. de Bons Conseils (rue des Gades, n° 2); N.-D. de Conservation (rue Cronque, n° 15); N -D. de Mont-Carmel (ruelle Rachot, n° 5); N.-D. de Tongres (rue du Parc, n° 27, rue des Groseillers, n° 42, rue des Blancs-Mouchons, n° 8); N-D. de Grâce (rue de Cantimpret, n° 5, rue des Ursulines, n° 17, rue d'Havré, n° 138); N.-D. Débonnaire ( rue de ce nom, n° 19) ; N-D. des Anges (rue de Gaillardmont, n° 7); N.-D. du Mont-Serrat (rue de Notre-Dame, n° 28, rue des Epingliers, contre la maison n° 37 de la rue du Haut-Bois). On trouve aussi les statues de sainte Anne et de sainte Marguerite dans les rues de Saint-Paul, n° 6, et Derrière-la-Halle, n° 14, respectivement; enfin, celle de Jésus flagellé, au bas de la rue des Compagnons, à l'angle de la maison n° 23.

Durant les octaves de l'Assomption et de la Nativité, ces niches sont décorées et protégées par une tente en toile. Le soir, on allume autour de l'image de la Vierge une profusion de chandelles, et l'on chante dans une chambre voisine les litanies et des hymnes en l'honneur de Marie. L'archevêque de Cambrai voulut abolir cet usage, par une ordonnance du 23 avril 1739; mais il ne put y parvenir. L'ancienne dévotion dont il s'agit, s'est perpétuée jusqu'à présent. C'est, avec les ronds de Saint-Jean et de Saint-Pierre, un dernier souvenir de ces réunions de voisinages ou ruages, qui avaient leurs fêtes et leurs amusements particuliers.

TRADITIONS Vieilles enseignes à Mons

 

Hôtel de ville de Mons vers 1860



VIEILLES ENSEIGNES A MONS

Par Léopold Devillers

Paru dans "Les annales du Cercle Archéologique de Mons"
Tome II - 1859



Vieilles Enseignes, A Mons. — Les enseignes d'autrefois étaient, en quelque sorte, des noms propres donnés aux maisons.

Les dénominations religieuses étaient souvent préférées pour les auberges, destinées spécialement aux pèlerins (hôtelleries de Barbe, au faubourg d'Havré, de l'Ange, rue de la Chaussée, n° 78, de l'Ange Raphaël, rue des Juifs, n° 4, etc.). Les demeures des ecclésiastiques portaient assez généralement des noms de saints Beaucoup de bourgeois s'estimaient également heureux d'habiter une maison sous le patronage d'un saint ou d'une sainte. Les marchands et les artisans prenaient ordinairement pour enseignes, des allégories, des attributs de leur négoce, de leur métier. Les végétaux , les animaux, les astres, les noms de localités, de professions, d'ustensiles, de meubles, de vêtements fournissaient,comme de nos jours, matière à des enseignes. Les sujets fantastiques, les calembours, les bons mots, les allusions excitant tout naturellement l'attention, les marchands ne manquaient pas d'y avoir recours pour le choix d'une enseigne, et cherchaient à acquérir la vogue de cette manière, en dépit du proverbe : A bon vin, pas d'enseigne. Enfin, on emprunta aussi des dénominations historiques; mais elles furent rares à Mons.

Les vieilles enseignes étaient généralement sculptées en pierre dans les façades des maisons. Cependant, il y en avait en bois ou en métal, que l'on pouvait transporter d'un endroit de la ville à l'autre. Ces dernières enseignes n'ayant pas la fixité des premières, il n'y a guère que celles-ci, véritables notabilités du genre, qui aient survécu en partie aux nombreux bouleversements qu'ont amenés les démolitions et surtout les reconstructions des vitrines de bon nombre de maisons de commerce.

Actuellement, on ne trouve dans notre ville que peu d'anciennes enseignes. En revanche, on en fait chaque jour de nouvelles, qui finiront peut-être par avoir la popularité des autres. Voici l'indication de celles d'entre ces dernières qui existent encore:

Au saint nom de Jésus (monogramme JHS, en lettres d'or, sur plaque de tôle, rue d'Enghien, n° 6).
Au château d'Enghien ( inscription en lettres d'or sur une plaque de pierre, dans la façade de la maison n° 5 de cette rue).
A la Grappe de Raisin (ancien estaminet au vin). — (Ornement au balcon, rue des Clercs, n° 2).
Au Blanc Lévrier (sculpture de pierre dans la façade de la maison n° 36 de la Grand'Place).
A la Coupe d'or (ciboire sculpté et doré, sur la façade de la maison n° 17 de la rue de la Coupe).
A saint Antoine (ce saint ermite, gravé sur une pierre de la façade de la maison n° 35 de ladite rue).
Au Lion rouge (sculpture, maison n° 20, ibidem).
A la Jambe de fer (sculpture, ibidem, n° 46).
A la Tète St Jean (sculpture de pierre, rue de la Clef, n° 9).
A la Faulx d'or (enseigne volante, idem, n° 33).
Au grand Laboureur (inscription gravée sur la façade, rue de la Clef, n° 30).
Au Compas d'or (peinture dorée sur bois, rue du Haut-Bois, n° 12).
Au Pistolet d'or (sculpture de pierre, avec la date de 1711, ibidem, n° 35).
A l'Ecaillé d'or (idem, ibidem, n° 24).
Au Cornet d'or (idem , ibidem, n° 64).
A la Paile d'or (idem, rue d'Havré, n° 72).
Aux Quatre Seaux (4 seaux de fer blanc, ibidem, n° 130).
Aux Trois Maillets d'or (sculpture de pierre, dorée, ibidem, n° 129).
Au Mousqueton d'or (idem, ibidem, n° 126).
Au Corbeau (auberge). — (Idem, ibidem, n° 108).
Au Peigne d'argent (idem, ibidem, n° 62).
Aux Lunettes d'or (idem, ibidem, n° 52). 
Au Renard (idem, ibidem, n° 55). 
A la Clef d'or (sculpture dorée, avec le millésime MDCCXIII, ibidem, n° 46).
A la Tête d'or (sculpture dorée, ibidem, n° 15).
A la Tasche d'argent (sculpture représentant un sac à ouvrage, ibidem, n° 50).
A la Balance d'or, 1768 (sculpture, ibidem, n° 58).
Au Miroir d'argent (idem, ibidem, n° 37).
Au Lion d'or ( idem, ibidem, n° 44).
A la Branche d'or (idem, ibidem, n° 126).
A la Couronne impériale (hôtel). — (Grand'Place, n° 24).
Au gros Visage (sculpture de pierre, avec le millésime 1789, rue du Miroir, n° 10).
A la Couple de Bécasses (auberge). — (Enseigne de bois, rue de la Peine-Perdue, n° 16).
Au Jambon de Bois, on loge à pied (auberge). — (Enseigne de bois, rue des Épingliers, n° 12).
Au Pilon d'or (sculpture dorée, rue de Nimy, n° 1).
A la Poire d'or (idem, ibidem, n° 3).
A l'Oranger (idem, ibidem, n° 7).
Au Paradis (inscription en lettres d'or sur la façade, ibidem, n°23).
Au Grand Turc (simple dénomination, ibidem, n° 58). 
Au Trois Herrent (harengs), 1723 (sculpture de pierre, ibidem, n° 75). 
La Clef Rouge(idem, ibidem, n° 98;. 
Aux Trois Verds Chapeaux (idem, ibidem, n° 104). 
Au Singe d'or (singe doré au balcon, ibidem, n° 42). 
Au Petit Saint-Pierre (enseigne volante, peinte, rue de Nimy, n° 91).
Aux Trois Brouettes (sculpture de pierre, dorée, ib., n° 72). 
Le Château de le Marcotte (sic) 1689 (sculpture de pierre, représentant trois belettes, rue des Marcottes, n° 31).
A la Dogres (inscription, avec le millésime 1735, rue du Parc, n° 42).
A la Moriane (sculpture de pierre, peinte, à la façade de la maison n° 12, rue de la Chaussée).
A l'Espérance (simple dénomination, même rue, n° 29).
A Saint Louis, on vend de beaux draps ( inscription en lettres d'or, gravée sur une pierre de la façade, ibidem, n° 37).
A Sainte-Waudru (peinture sur bois, rue des Fripiers, n° 18).
A la ville d'Avesnes (sculpture de pierre, peinte, portant la date 1724, Grand'Rue, n° 70).
Au saint nom de Jésus (monogramme JHS sculpté sur la façade, ibidem, n° 104).
Au Paon d'or (auberge). — (Peinture dorée sur bois, rue de Bertaimont, n° 3'i).
A la ville de Dinant, brasserie. 1743. (Sculpture de pierre, représentant une forteresse, rue de Dinant, n° 30).
Aux Trois Coulons (estaminet). — (Peinture sur bois représentant trois colombes, rue du Béguinage, n° 22).

On remarque encore au-dessus de la maison dite A la Montagne (rue de la Poterie, n° 2), une grande et magnifique rose, sculptée en pierre.

Nous avons aussi vu, placée dans une muraille de la cour de la maison n° 9, rue de Nimy, une ancienne enseigne, qui était celle d'une maison de la rue d'Havre, représentant une ville fortifiée, sculptée en pierre et portant au bas : La V-L De IeruSalem.

Nous citerons pour mémoire les enseignes qui ont disparu depuis quelques années.

Au Fort Touquet, enseigne d'un vieil estaminet, qui était situé au coin de la ruelle de l'Atre et de la rue du Mont-Escouvet (maison portant actuellement le n° 24).
A la Crosse. — (Rue des Clercs, n° 27).
Aux Cinq Vertus (sculpture, rue des Cinq-Visages, n° 3).
A l'Aigle d'or (hôtel). — (Double aigle doré au balcon, Grand'Place, n° 4).
Au Durmené (estaminet). — (Grand'Place, n° 8).
Au Dragon ( sculpture de pierre peinte, rue de Nimy, n° 62).
A la Chaîne d'or (ibidem, n° 90).
Au Saumon (auberge). — (Ibidem, n° 43).
A l'Etoile Rouge (ibidem, maison incorporée dans celle portant le n° 43).
Au Dauphin (auberge). — (Ibidem, n° 65).
A l'Ours (auberge). — (Sculpture de pierre peinte, portant le millésime 1766, rue du Parc, n° 17).
A la Femme Sauvage (auberge). — (Rue du Parc, n° 8).
Au Rosier (estaminet). — (Rue Cronque, n° 3).
Au Patacon (rue de la Clef, n° 16).
Au Chapeau Blanc (ibidem, n° 1 ).
Au Faisan (auberge). — (Rue de la Halle, n° 4).
Aux Trois Boraines (rue de la Chaussée, n° 25).
Au duc de Lorraine ( peinture sur bois, rue des Fripiers, n° 7 ).
Au Haume (sculpture de pierre, Grand'Rue, n° 52).
A la Petite Nef ( ibidem, n° 63).
A la Licorne (auberge). — (Rue de Bertaimont, n° 31 ).

Enfin, nous donnerons les noms d'anciennes enseignes disparues depuis longtemps, ou qui, pour un bon nombre, se trouvent cachées, soit derrière des boiseries modernes, soit sous le plâtre, et dont l'emplacement ne nous est pas bien connu. Nous les avons rangées suivant les rues où elles se trouvent mentionnées dans certains documents anciens.

Grand'Place. — A la Roue d'or, Au Château d'or, Au Fusil d'or, A la Toison d'or, Au Mortier d'or, A la Croix d'argent, Aux Vieux Amis, A l'Ane barré, Au Prince d'Arenberg, Au Dauphin d'argent, A l'Homme d'arme, Au Lion Verd, A l'Impératrice, Au Cerf.

Rue de Nimy. — A la Chaîne d'argent, Au Joli Cœur, Au prince d'Orange, Au Lévrier Noir, Au Petit Bruxelles, Au Petit Anvers, A la Rose, Au Mont Parnasse, Au Turc, A la Chasse Royale, Au Postillon, Au Cheval blanc, Au Gros Chapelet, Au prince de Condé, Au Grand Boulevard, Au Grand St Pierre, A St Pierre, A la Pomme de Grenade, Aux quatre fils Aymon (à l'angle de la rue de ce nom), Aux Trois Amis, Au Noir Tasseau, Au Grand Paradis, Au Petit Paradis, Au Cardinal, A la maison à Boulle, Aux Trois Rois, Au Petit Milan, Au Nom de Jésus, Au Prince Cardinal, A Ste Christine, A St Jean-Décollé, A Ste Anne, A St Jacques, A St Augustin, Au Flacon d'or.

Rue du Miroir. — Au Puits d'argent, Au Dauphin d Or, Au nom de Jésus, A l'Aigle d'or, A la Pucelle d'Orléans, Au Grand Miroir, Au Petit Miroir.

Marché au Poisson (aujourd'hui à la Volaille). — Au Noyau d'or. 

Rue de la Raquette. — A la Raquette d'argent. 

Rue des Fossés. — A l'Ecole. 

Rue Neuve. — A la Cantine. (Cette maison a été incorporée au théâtre.) 

Rue Verte. — A l'Ancre d'or. 

Rue Sans-Raison. — A Bernabas.

Rue des Passages. — A St Pierre.

Rue du Mont-Escouvet. — Au Mont St Adrien.

Rue des Groseillers. — Au Chapeau rouge, A la Tour Blanche.

Rue de la Biche. — A la Biche.

Rue d'Havré — Au Chasseur royal, Au Perroquet couronné, A St Martin , A l'Empereur, A St Nicolas , A l'Hôtellerie , Aux Paternottes, A Ste Thérèse, Au Prince de Roche, Au Dur Mené, A la Truye qui file, A l'Estocade, A l'Épée d'arme, Au Soleil, Au St Esprit, A St Antoine, Aux Trois Couronnes, Au Pot d'étain, A l'Aigle Rouge, Au Vit Cocq, Au Chapeau d'argent, Au Coq chantant, Au Moulinet, A la Bourse vide, Au Chapeau de fer, A la Catoire d'argent, Au Veau d'Or, Au Chaudron d'or. Au Puits d'or, A la Faux d'or, Au Pourcelet d'or, A la Bourse d'or, A la Haise d'or, Au Bourlet d'or, A la Croix d'or, A la Plume d'or, Au Canon d'or, A la Potence d'or, Au Moulin d'or, A l'Aulne d'or.

Rue de la Clef. — Au Peigne d'Or, A la Lunette d'Or, Au Citron d'Or, Au Cornet d'or, A la Clef, A la Chasuble, Aux Sept Frères, A St Adrien, Au Heaume, A la Botte Romaine, Aux Trois Couronnes , A St Jean-Baptiste, A l'Ecu d'argent, Au Petit Laboureur, A la Sculture ferée, A la Sirène de mer, Au Double Ducat, A St George.

Cul du Sac. — A St Georges, A St Martin, Au Cheval blanc, Au Bocquet d'or.

Rue St Paul. — A la Bergère.

Rues du Haut-Bois et de la Halle. — Au Chat, A l'Empereur, Au Loup, Au Petit Loup, Au Vieux Loup, Au Soleil d'or, A la Ville de Huy, Au Chaud Caillou, A St Denis, au Lièvre courant, A Ste Barbe, Au Chapon de Bruges, A la Brique jaune, A la Bonne Espérance, Au Grand Faisan, A l'Écu rouge, A la Doloire (outil de tonnelier).

Rue de la Peine-Perdue. — A la Peine perdue: enseigne qui représentait un barbier savonnant un nègre et s'efforçant de le blanchir.

Marché au Compenaye (aujourd'hui Petit Marché). — Au Grand Chat, A la Reine d'Espagne, Aux trois Étoiles, Au Tambour Royal, Aux deux Chais, Aux trois Ciseaux, Au Coq chantant, Au Coquelet, Au Verd Maillet, Aux trois Carabines, A la Tour Jolie.

Rue de la Coupe. — Au Cardinal, Au Comte de Bucquoy, Au Pélican, A la Grande Écritoire, A la Fontaine d'or, Au Timbal royal, A la ville de Rome, A St Dominique.

Rue de la Couronne. — Au Colombier, Au Dragon d'Argent, Au Mouton blanc.

Rue de lu Grande Triperie. — A la Rouge Cravatte, Au Balcon, A l'Aigle noir.

Rue de la Petite Triperie. — Au Refuge de Bélian, A la Brique jaune, A l'Éléphant.

Rue des Fripiers. — Au Dromadaire, Au Figuier.

Rue de Notre-Dame. — Au Petit Namur, Aux trois Borins, Au Chapeau d'or, Au Rouge Cœur, A la Bouteille d'or, Aux trois Moulins, Au trois Chats, Au Fer de Charrue, Au Gril d'or, Au Petit Maubeuge , Au Perroquet vert.

Croix-Place. — A la Corne de bœuf.

Rue des Juifs. — Au gras Bœuf, Au Mouton noir, A la Bonne Moutarde, Au Lettrier.

Rue de Bertaimont. — Aux trois Gobelets, Au Blan Gant, A la Moule d'or, Au Mouton rouge, A St Pierre, A la Croix Rouge, Au Violon d'or. — Au Tour à la Mode, guinguette hors la porte de Bertaimont.
Trou Oudart. — Au Cœur sur l'eau.

Grand'Rue. — Au Laurier, Au Porc d'or, A St Claude, A l'Écu d'Artois, A la Charrue d'or, Au Cerf, A la Cuve d'or, A la Botte d'or, A la Tortue d'or, A la Noire Teste, Au Pied blanc, Au Point d'or, A la Garde de Dieu, A N.-D. de Fineterre, A la Tête de Bœuf, A Namur, A la Petite Cuve d'or, Au Cerf rouge, Aux trois Couronnes.

Rue de la Guirlande. — Au Cœur Joyeux, A la Dame de Compagnie, Au Hostier d'or, A St Christophe, A l'Épée d'arme, Au Damier, A la Victoire, A la Ville de St-Ghislain.

Rue des Orphelins. — A St Arnould.

Rue de Liége. — Au Verd Bocquet, Curie Ste Anne.

Rue du Cerf Volant. — A St Louis.

Rue des Blancs Mouchons. — Au Pont de pierre.

Rue de Cantimpret. — Aux trois Boulets, A Ste Marguerite, Au Boulduc.

Béguinage. — A la Paix de Cœur.

Rivage. — A la Tête d'or, A la Ville de Dunkerque, A la Bail d'or, A l'Horloge d'or, Au Dragon rouge, Au Cœur Joyeux, A la Verde Saulx, A S' Antoine, A la Nef d'or, Au Cat (chat) Barré.

RueSamson. — Au Sagittaire.

Rue de la Chaussée. — A l'Étoile d'or, A la Pomme d'or, A la Pouille d'or, A l'Arbre d'or, Au Balon d'or, A la Catoir d'Or, Au Grand Arbre d'or, Au Plat d'or, A l'Escaffiotte d'or, Au Pèlerin, A la Vigne blanche, A l'Alliance, Au Griffon, Aux trois Perdrix, Au Cornet rouge, A t' Pierre, A l'Étoile d'argent, A la Ville de Francfort, Au Prince, Au Cheval volant, A l'Ecu blanc, Au Papegay verd, Au Petit Paris, Au Chapeau Noir, Au Grand Ange, au Petit Ange, Aux deux Visages, A la Reine de France, Au Lion blanc.

Rue de la Poterie. — Au Figuier.

Rue des Clercs. — Au comte de Monteré (de Montrey, général espagnol), A la comtesse Masting, A la ville de Batavia, Au Grand St Laurent, A St François Xavier.

Rue d'Enghien. — A St Hubert, Au Cordon d'or, Au Soulier d'or, A St Druon, Au Bœuf, A la Trompette d'argent.

Rue des Telliers. — A l'Arbre secq.

Rue des Quiévroix. — A la Pie Borgne, A la Borgne Agasse, Au Gros Caillou, Au Dieu des Indes.

Rue des Etampes. — Au Mouton d'or.

Rue des Marcottes. — Au Croissant d'or, Au Pèlerin.

Place St Jean. — Au Cocq d'Inde, Au Verd Galant, A l'Archiduc Joseph, Au Bois de Mons, A St Eloy, A S' Joseph, A la Demi-Lune, Aux Trois Pattes, À la Rose d'Amour.

Rue du Parc. — Au Chien Rouge, A la Porte dorée, Au Petit Breda, Au Chasseur, Au Cheval Rohan, A Nostre-Dame du Rosaire, Au Moulin à Cheval, Au Lièvre blanc, A la Bonne Femme, A la Clef d'or, A St François ( auberge ).

Nous rapporterons ici une inscription gravée sur une pierre posée entre les maisons n° 4 et 6 de la rue des Dominicains: 

16 IHS MA 1l 
Anna . Ioseph . A Peste . Fame 
Et Bello . Libera . Nos . Dne .


TEMPLIERS Willem van Bonem et la bataille des Eperons d'Or

 

Bataille des Éperons d'Or ou Bataille de Courtrai
Enluminure extraite des Chroniques de France (fin XIVe siècle)


WILLEM VAN BONEM 

ET 

LA BATAILLE DES ÉPERONS D'OR


ou

La fin annoncée de l'Ordre du Temple ?


Willem van Bonem, ou Guillaume de Bonem, s'inscrit dans la légende - ou tout simplement l'histoire - de l'Ordre du Temple avec un panache certain, mais, contrairement à son "frère" Gérard de Villers, souvent cité dans l'histoire du Temple en Belgique, il reste encore relativement méconnu...

Son nom a donné lieu à de nombreuses interprétations orthographiques, à travers le temps et les auteurs divers :  Boenem, Boonem, Boneem, Bonheem, Bornem, Bornhem... Je me rallierai à la graphie la plus courante, Bonem, que l'on retrouve à Damme, au nord-est de Bruges, où se trouvait, au XIIIème siècle, une seigneurie indépendante appartenant aux Bonem, incluse dans le Franc de Bruges, et dont il subsiste encore de nos jours la Ferme Bonem, au n° 1 de la Bonemstraat (les terres de cette seigneurie furent vendues en 1297 à Baudouin de Dudzele; après être repassé en 1725 aux mains de Ferdinand-Philippe, baron de Boonem d'Everencourt, entre autres tractations, ce bien est actuellement propriété privée).

Le chevalier Guillaume de Bonem, échevin du Franc de Bruges, capitaine du Zwin, seigneur d'Oostkerke, appartint donc à l'Ordre du Temple, et participa, entouré de ses troupes templières, à la Bataille des Eperons d'Or, en 1302, sous la bannière au Lion, bataille qui se termina par la cuisante défaite du roi de France Philippe le Bel face aux rebelles du comté de Flandre.

Un bref  "recadrage historique" serait sans doute utile  :

L'Ordre du Temple, créé le 23 janvier 1120 par un chevalier champenois, Hugues de Payns, ainsi que par le chevalier flamand Geoffroy (ou Godefroy) de Saint-Omer, et confirmé le 13 janvier 1129 au concile de Troyes, a pour vocation première de protéger les routes de pèlerinage vers Jérusalem et d'assurer le transport des reliques chrétiennes. La perte de la Terre Sainte obligera les moines-chevaliers de l'Ordre du Temple à se replier sur leurs bases occidentales, qu'ils ont d'ailleurs fortement développées dès la création de l'Ordre, en France et dans les pays avoisinants, mais notamment dans le comté de Flandre.




J'ai évoqué une "vocation première", mais il faut constater que très vite les Templiers, animés d'un esprit de justice et d'équité peu courant à ces époques, en assument une seconde :  le bien du peuple, face à une féodalité oppressante, face à des "seigneurs" nés tels par chance et qui, sortant trop souvent de leur rôle naturel de protecteurs, deviennent les tyrans que l'on sait. Ainsi, les terres templières deviennent quasiment des lieux de refuge, pour une population autrefois servile, qu'ils libèreront; ils créent des associations d'artisans, libres, qui bâtiront des églises et cathédrales grandioses, car ils sont au service de Dieu et de la Chrétienté (les Templiers obéissent à la Règle rédigée pour eux par Bernard de Clairvaux, qui deviendra en quelque sorte leur "mentor spirituel"); ils animeront le commerce, grâce à des ressources financières importantes, et par un système bancaire fort en avance sur son temps. 

En 1307, le roi de France Philippe IV, dit Philippe le Bel, par exemplaire félonie et avec la relative complicité du pape Clément V (ou plutôt par sa "molle résistance" aux actes du roi de France... A noter aussi que, selon le Parchemin de Chinon de 1308, il semblerait bien que le pape ait "absous les Templiers de tous péchés"...), Philippe le Bel donc met un terme à l'aventure templière. Le procès des Templiers, leurs aveux souvent arrachés sous la torture, les accusations d'infamies soutenues par une propagande préalable orchestrée par Philippe le Bel, la mort sur le bûcher du dernier grand maître de l'Ordre, Jacques de Molay, tout cela hante encore l'imaginaire de beaucoup de nos contemporains.




Philippe le Bel
Gisant de marbre - Abbaye de Saint-Denis



Ce qui est moins clair de nos jours, c'est le "pourquoi" de cette élimination de l'Ordre du Temple.

On a dit, pour les défendre ou pour les charger - car aujourd'hui encore comme depuis des siècles, des historiens s'opposent sur le sens à donner à l'histoire du Temple -, que les Templiers étaient des hérétiques; qu'ils adoraient des divinités païennes, voire le diable en personne;  qu'ils pratiquaient une sorte d'alchimie sorcière afin de remplir leurs coffres d'or; qu'ils étaient homosexuels; etc. Ou que leur destruction aurait constitué pour Philippe le Bel une opportunité de rétablir ses propres finances, fort délabrées, en prenant possession des biens du Temple. Ou encore qu'ils constituaient "un état dans l'état", devenu dangereux à la fois pour le pouvoir du roi de France et celui des seigneurs féodaux...

Dire que les Templiers ont été toujours et partout irréprochables serait la manifestation d'une certaine naïveté. Mais entre la légende et les acccusations, où se déterminer ?

Pour ma part, je n'entrerai pas ici dans ce long débat, qui a déjà été mené souvent avec plus ou moins de bonheur par de nombreux historiens. Je m'arrêterai à un évènement précis, qui semble démontrer qu'à la fin de sa vie, l'Ordre du Temple répondait toujours aux "critères de qualité" voulus par Hugues de Payns, Geoffroy de Saint-Omer et Bernard de Clairvaux.

Il s'agit de la bataille des Eperons d'Or...

Cet évènement, d'autre part, pourrait fort bien expliquer - au-delà de toutes les littératures plus ou moins fantastiques que l'on a commises à ce sujet - la profonde animosité de Philippe le Bel à l'encontre des Templiers, qui s'assouvira en 1307 par la destruction de l'Ordre. Parce que, par cet évènement, les Templiers entrent en conflit armé avec Philippe le Bel !

Les historiens belges ont généralement reconnu une très positive influence templière dans les anciens duché de Brabant, comté de Flandre, et autre Pays de Liège, etc.

Cet extrait d’un article de A. Perreau intitulé « Recherches sur les Templiers belges », paru dans les « Annales de l'Académie d'Archéologie de Belgique » (Tome onzième - 1852), nous donne un aperçu de cette reconnaissance :

"Les Templiers en Belgique se rendirent dignes du reste de l'intérêt que leur témoignèrent les souverains de ce pays par le concours actif qu'ils prêtèrent en toutes circonstances à la défense de la patrie. C'est surtout lors de la guerre acharnée que le roi de France, Philippe-le-Bel, fit aux Flamands dans les premières années du XIVe siècle, que leur patriotisme parut au grand jour. Les historiens de la Flandre n'ont pas oublié de signaler dans leurs écrits la brillante conduite du Templier Guillaume de Bornem, dont la coopération fut si utile aux princes flamands et à Guillaume de Juliers pour organiser l'armée flamande et chasser de la Flandre les troupes françaises qui jusqu'alors n'avaient rencontré aucune résistance sérieuse."

Cet extrait nous signale l'impact templier en Belgique, et surtout, annonce mon propos :   cette fameuse bataille des Eperons d'Or.

Chez les historiens français, on la nomme "Bataille de Courtrai". Et chez les Flamands, elle est connue sous le nom de "Guldensporenslag". Elle a lieu le 11 juillet 1302.

Vers cette époque, le comté de Flandre (c'est-à-dire la Flandre française, de Lille à Dunkerque, soit l'actuelle moitié nord-ouest du département du Nord; les actuelles provinces belges de Flandre orientale et occidentale; une partie de l'actuelle province belge du Hainaut avec Tournai et Mouscron; le sud de l'actuelle Zélande hollandaise avec Aardenburg, Sluis et Hulst), fief du roi de France, s'est fortement développé et enrichi, pour deux raisons :  1° le 4 octobre 1134, un raz-de-marée ouvre une large brèche dans la terre de Flandre, qui fait tout à coup de Bruges un port maritime, lequel devient rapidement l'un des ports commerciaux les plus importants du monde d'alors, ainsi que son avant-port à Damme (la mer est redescendue depuis, et il ne reste plus de cette brèche que le Zwin, charmant endroit entre Knokke et Cadzand)... et 2° le commerce très prospère de la laine avec l'Angleterre.

Ces riches Flamands sont pour Philippe le Bel une opportunité. Ses caisses sont vides. Il veut les remplir avec l'or flamand. Il impose donc des taxes écrasantes. Les Flamands refusent. Philippe le Bel lance ses armées sur la Flandre, armées qui, portant haut des "balais", symbole de leur détermination, "nettoient", c'est-à-dire ravagent le pays. Mais la résistance flamande s'organise. En mai 1302, les Brugeois, commandés par l'un des chefs de cette résistance, Jan Breydel, s'emparent de la garnison française stationnée au château de Male; Guillaume de Bonem participe à l'assaut de la place forte.  Quelques jours plus tard, une autre réaction flamande, fort cruelle hélas, purge la ville de Bruges d'une majorité de ses résidents français :  cet épisode sera nommé "les matines brugeoises".

Fou de rage, Philippe le Bel lève l'une des armées les plus considérables de ce temps. Pour mater ces Flamands qui veulent préserver leurs libertés et leur or, il réunit la fine fleur de la chevalerie française, les "tanks" de l'époque, sept mille hommes bardés de fer. Il fait appel à des mercenaires provençaux, navarrais, espagnols, lombards, qui grossissent les rangs des hommes de troupe et sergents d'armes français. Bref, il constitue une "force de frappe" de près de cinquante mille hommes.

Face à eux... peu de chose. Les milices flamandes, de Bruges, de Gand, et de toutes les régions de Flandre que l'on réunit alors, ne feront pas le poids. C'est alors qu'interviennent les Templiers. Ils décident de prendre fait et cause pour les Flamands, face au roi de France. Sous le commandement de Guillaume de Bonem, ils organisent en hâte la petite armée flamande. Ils élaborent une stratégie, imaginent de reprendre la tactique d'Hannibal à la bataille de Cannes en 216 avant notre ère (laisser volontairement enfoncer le centre des forces pour, après la ruée désordonnée de l'ennemi, les prendre en tenailles avec les ailes gauche et droite), et, dit-on, procurent à la troupe une arme qui aurait été apportée d'Orient par les Templiers, le "goedendag" :   une boule de bois hérissée de pointes de fer, reliée à un bâton de bois par une chaîne, arme d'une efficacité redoutable.

Une autre figure légendaire mais aussi historique de Flandre, Willem van Saeftinghe, moine de l'abbaye de Ter Doest près de Lissewege, "fignole" le dispositif :  sur la trajectoire de la "ruée au centre" que l'on espère de l'ennemi, on aura creusé des fossés, recouverts ensuite de branchages. Les chevaliers français n'y verront que du feu, et se feront prendre au piège.

Très vite, la rébellion flamande fait tache d'huile.  Par jeux d'alliance et parce qu'elles aussi sont soumises aux exactions françaises, d'autres régions de la Belgique d'alors se mobilisent. Les maigres troupes flamandes sont ainsi renforcées par des contingents de Zélande, du Hainaut, du Namurois, du duché de Brabant, du Pays de Liège. Il paraîtrait même - mais cela reste incertain - que des troupes anglaises aient traversé la Manche pour porter secours aux insurgés flamands. Dans cette armée hétéroclite, on voit des nobles, des bourgeois, des paysans, des manants, tout un peuple...

En définitive, les rebelles flamands et leurs alliés réunissent quelque vingt mille hommes.

Le 11 juillet 1302, la bataille s'engage, dans la plaine de Groeninghe, près de Courtrai, aux abords de la Lys.

Chez les Français, il n'y a nulle inquiétude. Sous le commandement de Robert II d'Artois et de Raoul de Nesle, l'armée du roi de France est sûre de son fait.



Armoiries de Robert II d'Artois


Mais c'est compter sans cette association particulière de l'esprit templier et du courage flamand :  bien qu'on l'eût prévenu qu'il valait mieux contourner l'armée flamande et la prendre à revers, Robert d'Artois décide... de foncer dans le piège tendu par les coalisés belges. Il attaque le centre du dispositif adverse, n'y voyant qu'une troupe de manants peu armés... illusion qu'Hannibal, à la bataille de Cannes, avait déjà réussi à imposer aux légions romaines de Varron et de Paul Emile .

Les chevaliers français, en armure et superbement entraînés au combat, après avoir cru refouler les manants flamands - qui se repliaient volontairement, comme le firent les mercenaires gaulois d'Hannibal, et non pas pris de panique comme l'ont écrit plusieurs historiens ! -, les chevaliers français donc, en une "poussée victorieuse" qui vire vite au désordre, s'embourbent dans les fossés marécageux qu'ils n'avaient point vus... Et là, les ailes gauche et droite de l'armée flamande, commandées par Guy de Namur et Guillaume de Juliers, se rabattent sur eux, les prennent en tenailles, et les massacrent. La chevalerie française est anéantie dans le bloed meersch, le "marais sanglant".



La Bataille des Eperons d'Or
Gravure flamande du XIVème siècle


Guillaume de Bonem et ses Templiers sont de la partie, leur bannière unie à la bannière au lion des Flamands. On les surnomme "les Chevaliers du Cygne". Ils sont constitués de trois groupes :  templiers noirs, templiers gris et templiers blancs, selon leur grade dans l'Ordre. Au milieu d'eux se trouve Willem van Saeftinghe.




La bannière au lion
D'or, au lion de sable, armé et lampassé de gueules



Quelques temps avant la bataille, Philippe le Bel avait demandé aux Templiers français de se joindre à ses troupes... Ils refuseront, arguant qu'il leur était impensable de se battre contre leurs frères belges. Nouvel affront au pouvoir du roi.

La légende, ou l'histoire, affirme que Robert d'Artois fut tué par Willem van Saeftinghe, qui par ailleurs aurait tué quarante chevaliers français à lui seul. Que cela soit vrai ou faux, il n'en demeure pas moins que cette légende, ou vérité historique, reflète fort bien la réalité du moment :  les rebelles flamands et leurs alliés firent un carnage total. Il n'y eut point de quartier.



Statue de Willem van Saeftinghe à Lissewege
(Photo Charles Saint-André)


Après la bataille, les Flamands arrachèrent des bottes françaises leurs éperons, près de sept cents. Ceux-ci, en or paraît-il, furent exposés dans l'église de Notre-Dame à Courtrai. Quelques années plus tard - et les Templiers n'étaient plus là pour leur venir en aide -, les milices flamandes subirent de graves revers, et la France récupéra ses "éperons d'or", qu'elle transféra dans une église à Dijon.

En 1313, Philippe le Bel, dit "le roi de fer", après les avoir supprimés, s'octroya les richesses monétaires des Templiers et transféra leurs commanderies à l'Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem (appelé plus tard Ordre de Malte). Il mourut l'année suivante, suite, dit-on, à la malédiction que lui lança Jacques de Molay du haut de son bûcher, sur l'Ile aux Juifs à Paris... légende sans doute, mais le "roi de fer" ne survécut donc pas à ses adversaires.

On ne sait trop ce qu'il advint de Guillaume de Bonem. On sait cependant que ses descendants continuèrent en plusieurs occasions d'occuper des charges communales à Bruges.

Les Templiers de Belgique ne furent pas grandement inquiétés après la dissolution de leur ordre, contrairement à leurs frères français.

La majorité d'entre eux néanmoins prirent la fuite, et rejoignirent principalement leurs commanderies du Portugal, où, sous la protection du roi Dom Dinis, ils changèrent de nom et devinrent l'Ordre des Chevaliers du Christ, ou Ordre du Christ.




Croix de l'Ordre du Christ


D'autres choisirent l'Ecosse comme terre d'exil. Ils y seront protégés par Robert Ier d'Ecosse (Robert the Bruce) qui, excommunié, n'avait plus à répondre aux ordres de saisie des biens templiers promulgués par Rome. Une tradition, toujours controversée, affirme que les Templiers ont aidé Robert Ier à gagner la bataille de Bannockburn en juillet 1314, victoire qui assura l'indépendance de l'Ecosse jusqu'en 1707. En récompense de leurs services, Robert Ier aurait constitué ou reconstitué en leur faveur l'Ordre de Saint-André du Chardon, dont les Templiers formeront le noyau. Cet Ordre du Chardon se serait alors installé à Aberdeen puis à Kilwinning... où fut, historiquement cette fois, créée la première loge maçonnique d'Ecosse, vers 1599... ce qui a incité bon nombre d'auteurs à imaginer (?) une filiation entre l'Ordre du Temple et la Franc-Maçonnerie. Vraie ou fausse, c'est cette tradition qu'utilisa en partie Dan Brown dans son très romancé "Da Vinci Code".

En Flandre, les Templiers n'ont pas été oubliés. Plusieurs communes de la région de Slijpe, où se trouvait l'une des commanderies templières les plus importantes de Flandre, ont gardé la croix du Temple dans leur blason (voir à ce sujet mon article "Les armoiries templières de quelques communes de Flandre").

Les Templiers continuent, de nos jours, comme depuis toujours d'ailleurs, à embraser les imaginations. Divers mouvements néo-templiers se sont formés. L'un des plus connus est sans doute, au XVIIIème siècle,  la Stricte Observance Templière, système de hauts-grades souché sur la Franc-Maçonnerie des grades bleus en Allemagne. Jean-Baptiste Willermoz, un franc-maçon lyonnais, rallia la S.O.T. aux loges créées par Martinès de Pasqually en France, et créa ainsi le Rite Ecossais Rectifié - l'un des nombreux rites maçonniques actuels -, qui perpétue l'esprit de l'Ordre du Temple (l'un des grades les plus élevés de ce rite est le "Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte", ou CBCS, manière quelque peu détournée de dire "Chevalier du Temple").




Logo d'une loge maçonnique française
travaillant au Rite Ecossais Rectifié
(R.°. L.°. Kreisteiz à l'Orient de Lorient)




Logo du Grand Prieuré de Nouvelle France,
obédience maçonnique canadienne 
travaillant au Rite Ecossais Rectifié



On connait aussi "l'ordre du temple" de Fabré-Pelaprat, au début du XIXème siècle, séquence relativement bizarre des avatars templiers. Actuellement, de nombreuses confréries se réclament de l'esprit templier :  leurs actes relèvent parfois d'un certain folklore, mais il n'y a sans doute pas lieu de douter de la force de leurs convictions. Il existe aussi toujours des escrocs en cape blanche à croix rouge, dont il convient évidemment de se méfier.

L'esprit templier perdurera donc... si deus lo vult.


Charles Saint-André



Bannière templière
Le Beaucéant



LEGENDES Promenades aux environs de Houffalize

 




PROMENADES AUX ENVIRONS DE HOUFFALIZE


Félix Ouverleaux Lagasse

Extrait du Guide Nels
"Promenade aux environs de Houffalize" (A.Dubois)
Bruxelles 1903



GENA ET MAGONETTE

Comment imaginer, au spectacle de ce village charmant, qu'il ait pu être jadis un repère de brigands ?
C'est là, que naquit en 1790 Magonette qui allait devenir un des plus célèbre bandit d'Ardenne. Dés sa jeunesse, Magonette s'adonna à la rapine. Bientôt, il devint le chef d'une petite bande de malandrins. Plusieurs fois condamné pour vol, dont la première fois pour vol de mouchoirs (foulards) et "pris" à La Roche, il est mis en prison où il fit la connaissance   d'un bandit du même acabit : Géna. Les deux comparses s'évadèrent et reprirent la tradition de Noyé le Poyou. Le groupe hanta la région de Wibrin-Nadrin et Les Tailles, multipliant les agressions, vols pour se procurer argent, nourriture et vêtements notamment chez le curé de Les Tailles et un riche fermier de Fontenaille. Suite au crime du gendarme Poncin, la gendarmerie s'organise pour aboutir à leur arrestation. Toutefois leurs recherches restent sans résultat. La population de Wibrin, dans la majorité était compromise dans ses activités, la peur des bandits transformant le paysan en indicateur, protecteur ou receleur.
Géna et Magonette furent capturés en 1820 par des forgerons, du côté d'Aywaille, lors d'une de leurs "excursions" à Liège, où ils allaient dépenser l'argent volé. Expédiés en prison, ils seront jugés et guillotinés à Liège le 4 juin 1821.
Ce furent, en Belgique, les deux derniers condamnés à mort à avoir la tête tranchée.
Lors d'une séance au tribunal Magonette s'est écrié : "Belhez, Belhez où j'ai tant laissé".
Belhez est un lieu-dit situé dans les bois entre Les Tailles et Wibrin.
Parlait-il d'un trésor ?
Les deux malfaiteurs entrèrent dans la légende.


LES LURCETTES

Lors de leurs vacances à Wibrin, les novices des récollets de Liège se moquaient volontiers de la naïveté des indigènes et surtout de leur curé. Lassé, celui-ci décide de donner une leçon à ces prétentieux moinillons. Il met en doute leur patience et leur habileté, et leur propose la "Chasse à la Lurcette". Picqués au vif, les novices relèvent le défi et vont passer la nuit blanche, un sac à la main à l'affût derrière les buissons pour attendre le passage de cet animal imaginaire.
A malin, malin et demi.


LA POSSEDEE DE WIBRIN

Un acte de décès très étrange transcrit en 1739 à la paroisse de Wibrin et signé par les curés et vicaires d'Ollomont, Wibrin et Tailles fait état de la mort le 19 juillet 1739 d'une habitante de Wibrin possédée de 36 démons, qui d'après l'aveu de ces derniers, entrèrent dans cette malheureuse âgée seulement de deux ans par le moyen d'une sorcière qui offrit à cet enfant une pomme qu'elle reçut sans faire le signe de croix. Les démons ne manifestèrent leurs présences que lorsque l'intéressée fut âgée de 24 ans et immédiatement après son mariage.
L'acte signale que, le jour de sa mort, avant de livrer le dernier combat avec le démon, elle s'était confessée et avait communié avec la dévotion la plus édifiante. Elle fut ainsi délivrée et du démon et de la vie après plusieurs heures d'atroces et spectaculaires souffrances dues tant à sa maladie qu'aux épreuves qu'on lui fit subir.


LES MACRALLES DE WIBRIN

Jusqu'au début du XIXè siècle, les habitants de Wibrin étaient surnommés les "makrals", les "makrins" ou les "macrês".

J-Th De Raadt, dans "Les sobriquets des communes belges" explique :
"D'après la légende, un jour, les chiens des chasseurs étrangers à la commune y avaient croqué des poules. Les gens du pays jetèrent un sort sur eux, après quoi ces chiens pondirent des oeufs".

Dans une étude signée Gaston Gérard, l'anecdote suivante à été trouvée :
Qui n'a entendu parler des macralles de Wibrin et des méfaits que l'on attribue généralement à ces mâlès djins (mauvaises gens). Je veux, pour en témoigner, que l'amusante historiette qui suit. Elle m'avait été racontée par le curé de la région : deux charretiers de La Roche, qui conduisaient à Houffalize leurs attelages lourdement chargés, venaient d'arriver à Wibrin. L'un d'eux voulait s'y arrêter pour permettre aux chevaux de se reposer un peu, mais l'autre s'y opposait. "Ne sais-tu pas, dit-il à son compagnon, que Wibrin est un village de macralles ?"
"Ce sont des bêtises. Il n'y a plus de macralles, même à Wibrin", répondit l'autre.
Mais à ce moment, une vieille femme qui, du pas de sa porte toute proche, avait entendu la discussion, l'interrompit en disant : "Siya, siya, m'fi, ign'a co des macralles à Wibrin. Dj'estans co nos sèt'" (Si, si mon fils, il y a encore des sorcières à Wibrin. Nous sommes encore sept).


LA CHAPELLE

La légende veut que cette chapelle ait été construite en 1680 par deux frères nés à Mont du nom de Lomal. Ces jeunes gens se firent marins et servaient en 1680 sur un vaisseau commandé par un lieutenant de Jean Bart. Ce vaisseau fut surpris par les anglais et après un combat acharné - l'équipage n'ayant pas voulu se rendre - le navire fut coulé; les deux frères parvinrent à se réfugier sur une épave. Ils invoquèrent la Vierge Marie et firent le voeu de lui élever une chapelle dans leur paroisse natale s'ils échappaient au danger de la mer. Ils réussirent à regagner sains et saufs la terre ferme et s'acquittèrent fidèlement de leur promesse.


LA VACHE DE TOUSSAINT CORNET

Un soir, le vacher du village qui avait rassemblé son troupeau veut attirer avec son cheptel la vache blanche inconnue qui avait durant la journée tenté d'éloigner ses bêtes de cette vallée herbeuse en se joignant au troupeau.
Il conçut de s'en emparer pour la ramener à Wibrin.
Il l'enchaîna, mais la bête se mit à galoper et entraîna Toussaint jusqu'à un détour de Martin Moulin et tout à coup, le long du ruisseau, la vache lui échappa.
Plus exactement, elle fit place à une belle et jeune créature qui lui dit :
"Brave homme, si tu reviens demain avec le plus grand sac que tu puisses trouver, je te récompenserai pour les bons soins que tu as eus pour ma vache. Mais entraîne ton troupeau ailleurs, les fées, mes soeurs se désolent de voir leurs fleurs foulées aux pieds".
Le lendemain, il revint avec sa paillasse vidée et la déposa devant la grotte, lorsqu'il revint à quatre heures, il la trouva bourrée à craquer.
La jeune fille lui dit :
"Voici la récompense promise, mais si tu ouvres ce sac avant d'être chez toi, tu perdras tout"
Comme le sac rendait un son de gros sous, Toussaint ne résista pas et l'ouvrit.
A l'instant même, le sac devint plat comme une galette et un peu de poudre d'or lui coula sur les mains.
Toussaint médita : "La curiosité est un vilain défaut".
Mais depuis ce jour, la vallée fleurie reste toujours le domaine des fées.


LA VALLEE DES FEES

Vous avez tous entendu parler des fées, des lutins, feux follets et nutons. Ces esprits charmants autrefois peuplaient toute la terre. Ils ont fui devant le progrès, et surtout ont abandonné les villes dont l'atmosphère ne leur convient pas. Aussi des savants vous affirmeront-ils avec supériorité que ces esprits n'existent pas. Cela tout simplement, parce qu'ils n'en ont jamais vu. Belle raison en vérité !
Demandez aux habitants des montagnes de l'Ardenne, s'ils connaissent les fées. C'est en effet, loin des palais, dans les vallons agrestes, aux abords des ruisseaux murmurants que s'est réfugié le gentil monde des esprits. Les grands de la terre ne les intéressent pas, ils aiment les humbles. Chaque chaumière dans le pays a son lutin bienfaisant. C'est lui, qui le jour de marché, au bourg voisin, éveille en temps la fermière. C'est lui qui suspend la truite à l'hameçon du pêcheur. C'est lui encore qui ramène vers l'étable, la vache égarée dans la forêt.
Ce sont les fées qui penchées sur le berceau des nouveaux nés, leurs donnent les qualités qui en feront de braves ménagères et de bons et honnêtes pères de famille. Les méchants ne naissent que là où il n'y a plus de fées.
La ravissante vallée à laquelle on a donné le joli nom de "Vallée des fées" est un des séjours de prédilection de ces esprits bienfaisants. Allez-y le soir ou au lever du soleil, vous aurez la chance d'en rencontrer.
C'est ainsi qu'un matin de mai, dès avant l'aurore, le jeune Antoine Michel, du hameau d'Achouffe errait dans le vallon dans l'espoir d'y surprendre une de ces aimables fées dont les histoires avaient bercé son enfance.
Il était parvenu, au moment où naissait le jour, à peu de distance du moulin de Ziette, là où vers l'amont, la vallée étroite semble fermée par la montagne aux roches abruptes couvertes de mousses et de fougères, entremêlées de grands chênes étendant sur le ciel leurs rameaux noueux et où le ruisseau sinueux s'en va cascadant, bouillonnant, à travers la prairie remplissant l'air d'une joyeuse et fraîche musique.
Soudain, au milieu de la blanche et légère buée matinale, s'élevant lentement de l'herbe humide, voici qu'Antoine aperçoit un ravissant spectacle.
Des ombres légères s'agitent, de petits pieds remuent en cadence, et l'air se remplit bientôt de cris et de chants joyeux.
Ce sont les fées de la vallée réunies en un gracieux ensemble qui célèbrent le retour et la fête du printemps.
Elles dansent et sous leurs pas, dans le pré, naissent les fleurs. Bientôt, l'herbe est émaillée de leurs belles couleurs et mille senteurs délicieuses embaument l'atmosphère.
De leur souffle léger et parfumé, les gentilles fées, répandent sur le corps des libellules et sur les ailes des blancs papillons, de fines poudres d'or, de sinople, de grenat et d'azur. Les jolis insectes volent de fleurs en fleurs, autour des groupes de danseuses, et miroitent au soleil comme de riches joyaux, plus beaux, plus brillants qu'il n'en peut sortir des mains des plus habiles orfèvres.
C'est la fête du printemps !
Et la buée continue doucement à s'élever entraînant avec elle le joyeux cortège des fées. En frôlant les flancs des collines, leurs doigts sèment l'or aux branches des genêts, couvrent d'un frais manteau de vert tendre les sombres branches des sapins et font craquer les bourgeons des grands arbres. Dans l'air tiède et doux chantent les oiseaux ravis de ce changement magique. Leurs trilles éperdus remplissent les airs. La nature entière tressaille.
Lentement le soleil monte à l'horizon inondant de gaie lumière ce joyeux spectacle.
C'est la fête du printemps !

SORCIER(E)S Le moine sorcier de Stavelot

 







LE MOINE SORCIER DE STAVELOT

"Le Val de l'Amblève :  Histoires et Légendes Ardennaises"

Par Marcellin La Garde
(1818 - 1889)



I

Au cœur de l'hiver de l'année 1596, par un froid des plus âpres, un lourd coche, traîné par quatre vigoureux chevaux, suivait la route de Spa à Stavelot. Ce coche renfermait pourtant quatre hommes d'âge avancé et de haute qualité : c'étaient André Streignard, suffragant d'Ernest de Bavière, prince-évêque de Liége; Jean Chapeauville, grand vicaire, et Pierre Oranus, chancelier dudit prince-évêque; puis Jean Malempeter, avocat fiscal. Tous, chaudement vêtus et assis sur de moelleux coussins, causaient gaiement, malgré le vent du nord, qui hurlait, et les cahots imprimés à leur maison roulante par les inégalités du chemin.
Ils étaient arrivés au fond du ravin où coule la Roanne, en deçà du hameau de Neuville, lorsque Malempeter, interrompant Chapeauville qui dissertait sur un point de théologie, lui dit, à demi-voix, en lui montrant un marécage à peu de distance de la route:
— Tenez, voilà précisément la place où a eu lieu l'aventure dont nous causions hier soir.
Chapeauville regarda avidement à travers la vitre de la portière, et il se mit à sourire.
— De quelle aventure est-il question? demanda Oranus, qui semblait intrigué.
— Oh! une bonne histoire, répondit Chapeauville. Voyons, Malempeter, racontez à ces messieurs votre centième patagon puisque nous avons sous les yeux le lieu de la scène:
— "Volontiers, dit l'avocat fiscal: « Sachez donc que François Monthouet, charretier à Francorchamps, éprouva, il y a quelques mois, plusieurs revers sans exciter grand'pitié de la part de ses voisins, car c'est un drôle dont presque tout le village a plus ou moins à se plaindre. Le même jour, il avait vu sa cabane brûler, son cheval mourir et sa charrette tomber en pièces. Malgré sa réputation de chrétien équivoque, il se tourna, dans sa détresse, vers son saint patron, qu'il allait souvent prier dans l'église du couvent de capucins récemment fondé à Stavelot. Il lui fallait cent patagons, autrement dit trois cents écus, pour rétablir ses affaires, et c'est ce qu'il conjurait saint François de lui accorder. Donc, à genoux devant son image, il lui disait chaque fois à haute voix : — « Bienheureux saint François, faites-moi obtenir cent patagons, mais pas un de plus, pas un de moins, car j'ai juré de n'accepter que cela, puisque c'est tout juste ce qu'il me faut pour reconstruire ma maison, acheter un cheval et faire raccommoder ma voiture. »
Le père supérieur, homme jovial, l'entendant sans cesse répéter les mêmes paroles, s'avisa de laisser tomber devant lui une bourse renfermant quatre-vingt dix-neuf patagons seulement, s'imaginant, dans sa bonhomie, que le charretier, conformément à son vœu, ne les prendrait pas, et voulant un peu s'amuser de sa surprise et de ses perplexités.
Monthouet ouvrit, en effet, de grands yeux, puis il compta et recompta la somme, et, sans hésiter, l'empocha, en disant avec componction:
— Oh! mille fois merci, mon bien-aimé patron. Pour le patagon qui manque, ne vous gênez pas... Je retrouverai cela à l'occasion... Trop heureux d'être votre débiteur.
Il sortit bien vite de l'église, au grand ébahissement du prieur, qui n'osa le retenir pour ne pas avouer une plaisanterie dont il comprit trop tard les conséquences, au double point de vue , de son intérêt et du respect qu'il devait au lieu où il se l'était permise.
Quelque temps après, un mur de l'église, fraîchement bâtie, s'écroula, et il fut décidé qu'on recourrait à la charité des fidèles pour obtenir de quoi le rebâtir. Deux frères se mirent donc à quêter, accompagnés d'un âne qui devait porter les dons en nature, à travers les chemins pénibles qu'ils avaient à franchir pour arriver aux villages voisins.
Un jour qu'ils revenaient de la Gleize et se dirigeaient sur Francorchamps par le fond de la Roanne, leur âne s'embourba dans le marécage que nous venons de voir, et les voilà adressant à la pauvre bête toutes sortes d'invitations et de prières pour l'engager à avancer. Mais elle ne bougeait pas.
Sur l'entrefaite, arriva François Monthouet, conduisant une charrette neuve que traînait un excellent cheval. Il voit l'embarras des moines:
— Attendez, leur dit-il, je vais vous porter assistance.
Et prenant son fouet, il accable de coups le baudet en proférant d'affreux jurons, et en invoquant tous les diables de l'enfer. L'animal fut sur pied en un instant. Les frères quêteurs, scandalisés, s'écrièrent en reculant:
— Oh! la maudite bête, qui reste sourde à nos prières et ne répond qu'à l'appel du démon... Qu'elle s'en aille vers lui...
— Très-bien, mes chers frères, dit résolument Monthouet, vous avez raison: j'accepte le cadeau.
Il allait continuer sa route et poussait déjà le grison devant lui, lorsque s'arrêtant tout à coup:
— A propos, dit-il : à quel ordre appartenez-vous donc?
— Vous le voyez, répondirent les capucins, nous sommes des fils de saint François.
— Ah! vous êtes les fils de saint François... Eh bien, votre père me redoit un patagon depuis plusieurs semaines, et voici une bonne occasion pour me payer sa dette, car votre pochette me semble bien remplie.
Et il se mit, avec une intention marquée, à faire claquer ce fouet qui avait si rudement fonctionné sur le dos de l'âne .
Que devaient faire les bons pères avec un pareil garnement?... »
Jean Malempeter en était là de son récit, lorsqu'un craquement se fit entendre sous la voiture, qui chancela et versa le long du talus de la route, — ce qui fit que ceux qui l'occupaient ne reçurent que de légères contusions.
Un des essieux s'était rompu net par le milieu,
Oranus, lorsqu'il fut sur pied, dit avec l'expression de la mauvaise humeur, en s'adressant à l'avocat fiscal:
— Pourquoi aussi raconter de pareilles histoires? C'est cela qui nous a porté malheur.
— Est-ce sérieusement que vous parlez ainsi? reprit Malempeter avec animation.
Le chancelier allait répondre, lorsque Streignard prit la parole:
— Eh ! messieurs, dit-il, ne voyez-vous pas qu'il y a dans cet accident inattendu quelque chose qui semble trahir la main qui l'a causé? Ne serait-ce pas celle du misérable que nous allons juger?
-« C'est vrai! crièrent à l'envi Oranus, Chapeauville et Malempeter.
-- Mais la Providence n'a pas voulu que le plan du moine-sorcier Delvaux réussît, ajouta Streignard; nous voilà sains et saufs, et nous pouvons continuer notre route à pied puisqu'une demi-lieue a peine nous sépare de Stavelot, d'où nous enverrons des ouvriers pour faire réparer notre voiture.
Il était nuit close lorsqu'ils arrivèrent à l'abbaye, où ils furent reçus avec les honneurs dus à leur rang et à la mission qu'ils venaient remplir.
Cette mission était aussi grave qu'étrange :
En effet, un moine du monastère, Jean Delvaux, était accusé de magie, « comme étant l'un des chefs des sorciers qui désolaient le pays de Stavelot, par leurs réunions nocturnes, où les démons et les personnes des deux sexes se livraient aux plus détestables dérèglements. »
Nos quatre personnages étaient donc délégués pour connaître de cette affaire, la juger, et faire exécuter le jugement, avec pouvoir de s'adjoindre un certain nombre de personnes versées dans la connaissance du droit et des coutumes locales.
Une heure après son arrivée, la commission inquisitoriale se rendit auprès de l'accusé. Elle trouva, dans un sombre cachot, étendu sur de la paille, un homme de quarante à cinquante ans, vêtu d'un mauvais froc et dont les traits amaigris, la chevelure inculte, la barbe longue, les yeux égarés avaient quelque chose d'effrayant.
A l'approche des visiteurs, il se leva sur son séant, et leur dit, à leur grande stupéfaction :
- Votre voiture s'est brisée en route, n'est-ce pas, messeigneurs ?  mais vous ne devez point me soupçonner... le démon qui l'a fait m'est étranger, car je n'ai rien ordonné de semblable au mien, et il est trop bien appris pour avoir agi sans mes ordres. ,
Le lendemain, au point du jour, l'interrogatoire commença. La substance de ce document nous est restée. Elle se trouve dans les Gesta pontificum Leodiensium de Chapeauville, sous les yeux duquel se déroulèrent toutes les péripéties de ce procès, où le fantastique le dispute à l'horrible réalité.

II

Jean Delvaux raconta qu'il était né à Brâ, village des Ardennes, et qu'à l'âge de quinze ans, pendant qu'il gardait, dans la bruyère, les troupeaux de ses parents, un vieillard, vêtu d'une longue robe, lui apparut et lui offrit honneurs et richesses en échange d'une obéissance entière à ses volontés, — ce que le jeune pâtre ayant accepté, il vit le vieillard, pour lui prouver sa puissance, se métamorphoser en plusieurs êtres effrayants et lui imprimer, à l'aide de ses griffes, deux stigmates sur les épaules. Quelques jours après, il plaça son élève à Trêves, où il lui fit faire des études complètes, après quoi il l'initia aux secrets de la sorcellerie, l'introduisit dans des assemblées de sorciers , et, enfin, lui ordonna d'entrer à l'abbaye de Stavelot et de prendre les ordres sacrés. Devenu, en 1593, suspect à son prieur, qui le considérait comme ayant causé la mort de plusieurs de ses confrères, Delvaux avait été mis au cachot, d'où il n'était pas sorti depuis lors, et où il avait été nourri au pain et à l'eau.
Interrogé ensuite sur les assemblées dont il venait de parler, il déclara qu'il existait dans le pays huit sociétés de sorciers : celles de Stavelot, d'Houffalize, de Cherain, de Salm, de Lavaux, de Tagnez, de Malmedy et de Trêves. Il indiqua les lieux et les jours où l'on se réunissait, dit combien de tables on dressait dans chaque endroit, quelles personnes s'y trouvaient et quelles cérémonies s'y accomplissaient.
D'abord, avait lieu la cérémonie de l'adoration envers Belzébuth, démon de première classe : elle consistait à se mettre à genoux devant lui et à baiser la terre qu'il avait foulée. Puis on prenait place au banquet après avoir prononcé ces paroles: « Au nom de Belzébuth, notre grand-maître souverain, commandeur et seigneur, que nos viandes, ce boire et ce manger soient garnis et servis pour nos réfection, plaisir et volupté !  Chacun répondait : « Ainsi soit-il! «  Le repas fini, les assistants remerciaient le maître en ces termes : « De notre réfection salutaire prise et reçue, que notre commandeur, seigneur et maître Belzébuth soit loué, gracié et remercié à son exaltation et au commun bien. » L'assistance répondait encore : « Ainsi soit-il! » Les danses et les chansons commençaient alors. Les premières étaient entremêlées de toutes sortes d'obscénités et interrompues à certains intervalles par l'obligation où était chaque danseur d'aller donner un baiser a Belzébuth, qui se trouvait au milieu du cercle sous la forme d'un bouc. Parmi les chansons, la principale était celle qui avait pour refrain ces paroles : « A Bois Burnet, attendez-nous. » La séparation avait lieu au premier chant du coq, ou au premier son des cloches, mais auparavant le démon avait soin de faire à chaque associé une distribution de divers poisons destinés aux hommes, aux bestiaux et aux fruits de la terre.
Quant aux personnes qui assistaient à ces conventicules, Delvaux en dénonça plus de cinq cents, tant laïques qu'ecclésiastiques, parmi lesquelles se trouvaient François Monthouet, le voiturier de Francorchamps, Pierre Kemerling, mayeur de Stavelot, Jean de Formille, curé de cette ville; l'ancien prieur du monastère lui-même, et cinq moines, lesquels, interrogés a leur tour, déclarèrent qu'en effet, ils croyaient que Jean Delvaux les avait ensorcelés au moyen d'un venin jeté dans divers endroits du bâtiment. Il cita aussi, comme ayant été vu jadis par lui, a l’assemblée de Trèves, le docteur Vlatten, conseiller de l'archevêque-électeur, brûlé sept ans auparavant pour fait de sorcellerie, et comme ayant eu pour partenaire dans cette assemblée une jeune et belle poissonnière des bords de la Moselle, qui l'avait régalé souvent d'excellents poissons.
Quelques jours après, la commission inquisitoriale se rendit de nouveau près de l'accusé, et on lui donna lecture de ses déclarations, en ayant soin de renverser les faits ou d'en omettre, de placer ailleurs des personnes qu'il avait désignées comme occupant telle ou telle table; l'accusé alors protestait contre ces inexactitudes, et rétablissait les choses comme il les avait exposées d'abord. « A plusieurs reprises, écrit Chapeauville, - dont nous suivons l'exposé point par point, - Oranus et moi, par esprit de charité chrétienne, nous avons été en particulier trouver Jean Delvaux dans sa cellule, et l'avons examiné sur beaucoup de choses, et il n'a cessé de nous démontrer que ses confessions n’étaient nullement l'effet d'une imagination troublée par les artifices du diable, mais que le tout s'était passé réellement, hypostatiquement et personnellement, comme il l'assurait. Enfin, nous l'avons trouvé toujours tellement d'accord avec lui - même et constant dans ses narrations qu'il ôtait à chacun de nous tout soupçon qu'il pût être un insensé. »
La commission ayant fait son rapport, Ernest de Bavière ordonna de procéder judiciairement à l'examen de l'affaire et l’arrestation d'un grand nombre de personnes dénoncées par Jean Del vaux, aussi bien les seigneurs de villages, les échevins et curés que les vieilles femmes et les gens du vulgaire.
Un décret fut ensuite promulgué, déclarant qu'avant de prendre une décision sur la cause, il y avait lieu d'appliquer Jean Delvaux à la question. Ce décret ayant ému beaucoup de personnes, qui ne craignaient pas de dire hautement, au risque de se rendre elles-mêmes suspectes de sorcellerie, que le moine Delvaux n'était autre chose qu'un aliéné, la commission résolut de faire convoquer un grand nombre d'hommes marquants pour les rendre témoins des déclarations de l'accusé, qui, devant eux, répéta ses premiers aveux et réfuta même diverses objections qui lui furent faites par l'assistance. Ainsi, comme on lui parla de lettres qu'il avait écrites à trois personnes, les capitaines de la Bouillotte et de Greinbiéville et le seigneur de St-Vith, lettres où il les qualifiait de neveux, en leur offrant de faire périr par son art tous les ennemis de Philippe II, roi d'Espagne, il répondit que s'il avait simulé la folie dans ces pièces, c'était un calcul de sa part, afin d'obtenir sa mise en liberté. Confronté avec Jean Formille, qui niait avec indignation tout fait de sorcellerie, il expliqua comment les sorciers prêtaient, chaque année, serment de ne rien révéler, serment que le curé de Stavelot, ajoutait-il, avait renouvelé naguère à l'assemblée de Stavelot.
Il fut mis ensuite à la torture, et il persista dans tous ses aveux, dans toutes ses dénonciations, prenant Dieu à témoin de la vérité de ses paroles: « Après qu'où l'eut détaché du chevalet, dit Chapeauville, on trouva qu'il n'avait pas les membres mutilés; mais ayant mis à nu ses épaules, nous avons examiné, de nos propres yeux, les deux stigmates qui y avaient été imprimés, et nous y avons enfoncé une épingle sans que le patient éprouvât aucune douleur. »
Enfin, le 2 avril 1597, après une instruction qui avait duré plus d'un an, sortit la sentence suivante, émanée de Jean Chapeau ville, en sa qualité de juge commissaire:
« Puisque vous, Jean Delvaux, prêtre et religieux de Stavelot, avez été convaincu non-seulement par une foule d'indices, de dépositions, de témoins et par la clameur publique, mais encore de votre propre aveu plusieurs fois répété, d'avoir renié la foi et la religion que vous aviez professées devant le Saint-Sacrement au baptême, non-seulement de bouche, mais encore de pompe et d'esprit, de vous être dévoué au démon, ennemi du genre humain, et de l'avoir adoré fréquemment dans les assemblées nocturnes des sorciers, comme aussi d'avoir fait alliance et pacte avec lui pour opérer des maléfices, pour obtenir des honneurs, des voluptés, des richesses et les autres biens temporels du siècle présent; d'être marqué de ses stigmates sur vos deux épaules, en confirmation du pacte et de l'alliance susdits; et enfin, d'avoir causé la mort à plusieurs religieux du monastère de Stavelot, et à d'autres personnes laïques (suivent les noms), au moyen de poison à vous fourni par le démon; ainsi que d'avoir perpétré d'autres crimes abominables avec les démons succubes et aussi avec plusieurs femmes mariées et non mariées, crimes pour lesquels nous vous privons de tout office et grade, et décrétons que vous devez être livré au bras séculier, suivant le dispositif des sacrés canons, priant néanmoins les juges et ministres de la justice séculière, que pour autant que le droit le permette, ils veuillent et daignent s'abstenir de l'effusion du sang. » Jean Delvaux, l'acte de la dégradation religieuse accompli, fut, en effet, livré à la justice civile, dans la personne de Pierre Oranus et de Jean Malempeter, qui , après s'être adjoint plusieurs notables de la principauté de Stavelot, condamnèrent le coupable à la peine de mort; toutefois, prenant en considération ses aveux, son repentir et la détention de près de cinq ans qu'il avait subie, ils décidèrent qu'il ne serait pas brûlé vif, contrairement à l'usage établi pour les sorciers, mais qu'il serait pendu, et que son corps recevrait la sainte sépulture dans le cimetière de l'abbaye.
Trois jours après, une potence était dressée dans la prairie faisant face au monastère, sur la rive opposée de l'Amblève. Une foule immense était là réunie, à la fois curieuse et pleine d'anxiété, car, malgré la croyance où l'on était alors que le sorcier qui était aux mains de la justice et avait révélé le secret du sabbat ne pouvait plus compter sur aucun secours surnaturel, la plupart des spectateurs, paysans des villages voisins, s'attendaient à voir, au moment suprême, le démon jouer quelque tour de sa façon aux juges et au bourreau, et délivrer le patient. Celui-ci parut, se traînant à peine, s'agenouilla, se recueillit quelques moments, puis demanda, comme dernière faveur, que la distribution d'aliments qu'on était dans l'habitude de faire aux pauvres à la mort de chaque religieux, se fît aussi à son intention, pour que ceux qui en seraient l'objet se souvinssent de lui dans leurs prières. On lui promit d'accomplir ce dernier vœu, et le moine-sorcier fut lancé dans l'éternité, —laissant un des exemples les plus frappants de cet état d'extase et d'hallucination épidémique par lequel la science moderne explique ces aveux inouïs, dont notre récit offre un échantillon authentique, et qui venaient si fatalement en aide aux préjugés du temps pour faire des victimes.
De tous ceux que Jean Delvaux avait dénoncés comme étant ses complices, un seul périt avec lui sur le gibet : ce fut François Monthouet; mais, d'après le sentiment public, ce qui décida principalement de son sort, ce fut l'affaire de l'âne des frères quêteurs, et celle du centième patagon.